Historique de la tricherie aux échecs (2)

Par Paul Kohler
19/10/2022 – Coacher les joueurs pendant la partie est probablement la forme de tricherie la plus répandue (rivalisant peut-être seulement avec la corruption et le fait de faire exprès de perdre). Même si cette pratique a commencé bien avant l'avènement des machines à jouer aux échecs, les ordinateurs ont ajouté une dimension nouvelle et spectaculaire à cette méthode de tricherie aux échecs. Découvrez, dans ce deuxième épisode de la série d'enquêtes lancée par Frederic Friedel, qui ont été les pionniers de la tricherie par ordinateur. Article paru sur le portail anglophone de notre site le 04 octobre 2011.

ChessBase 17 - Mega package - Edition 2024 ChessBase 17 - Mega package - Edition 2024

It is the program of choice for anyone who loves the game and wants to know more about it. Start your personal success story with ChessBase and enjoy the game even more.

Plus…

Tricherie aux échecs – Deuxième partie

Par Frederic Friedel

Advances in Computer Games 9, édité par les professeurs H. J. van den Herik, de l'Université de Maastricht, et B. Monien, de l'Université de Paderborn, a été publié par l'Université de Maastricht en 2001 (écrit et soumis par l'auteur en 2000). Dans ce qui suit, le texte a été légèrement modifié et des photos supplémentaires ont été incluses.

Résumé

De nos jours, les joueurs d'échecs de tous niveaux peuvent bénéficier de l'assistance d'un ordinateur pendant une partie d'échecs. Il s'agit d'un nouveau développement et d'un problème sérieux pour le jeu. Cette contribution énumère les principales formes de tricherie et fournit quelques exemples tirés de la pratique. La forme la plus répandue (Allwermann à l'Open Böblinger) est placée dans un contexte historique en décrivant des cas de tricherie observés précédemment. Finalement, le problème de la tricherie au plus haut niveau est abordé. Quelles sont les possibilités et comment pouvons-nous prévenir la tricherie? Comme il n'existe pas de solution limpide, le problème de la tricherie reste sur la liste des questions à traiter très sérieusement dans un avenir proche.

2. Assistance  

Coacher les joueurs pendant la partie est probablement la forme de tricherie la plus répandue (rivalisant peut-être seulement avec la corruption et les défaites volontaires). Même si cette pratique a commencé bien avant l'apparition des machines à jouer aux échecs, ce sont les ordinateurs qui ont ajouté une dimension nouvelle et dramatique à cette méthode de tricherie.

Il y a deux façons de tricher avec des ordinateurs:

  1. Les Maîtres humains influencent les coups de la machine pour qu'elle joue mieux qu'elle ne pourrait le faire normalement.
  2. Un joueur humain utilise l'assistance d'une machine pendant la partie pour jouer mieux que ce qu'il serait normalement capable de faire.

Dans cet article, nous nous intéressons principalement à la seconde possibilité, bien qu'il y aurait également beaucoup à dire sur la première, dont un exemple historique est le célèbre automate de Wolfgang von Kempelen.

À la fin du 18e siècle, ce noble hongrois a construit une machine sous la forme d'une figurine turque mécanisée. Elle jouait aux échecs et battait presque tous les adversaires. Bien entendu, elle était actionnée par un être humain habilement dissimulé dans l'appareil.

2.1 Première utilisation des ordinateurs pour tricher

C'est à Hambourg en août 1980 que, pour la première fois (à ma connaissance), un ordinateur a été utilisé pour aider clandestinement un joueur humain pendant une partie. Les auteurs de la supercherie étaient l'auteur de cet article, quelques collègues d'une chaîne de télévision allemande et Ken Thompson des Laboratoires Bell. La victime était le GM allemand Dr Helmut Pfleger.

Inventeur d'Unix et pionnier des échecs sur ordinateur: Ken Thompson.

À l'époque, nous réalisions un documentaire scientifique sur les échecs sur ordinateur et nous voulions effectuer une sorte de test de Turing aux échecs. Le Dr Pfleger présentait simultanément une exposition au festival d'échecs de Hambourg, et nous avons décidé de faire jouer secrètement un ordinateur contre lui. Ken venait de terminer la construction de sa nouvelle machine Belle. Nous avons caché un récepteur radio sous les cheveux d'un de mes jeunes collègues, Dieter Steinwender, qui avait une place dans la simultanée. J'ai pu lui parler depuis un point d'observation situé au-dessus de la salle de tournoi. Ken se tenait prêt dans le New Jersey pour livrer les coups par téléphone.

Belle: la première machine d'échecs

À l'aide d'une paire de jumelles, je suivais la partie sur l'échiquier de Dieter. Dès que le GM jouait un coup, je le transmettais par téléphone à Ken, qui l'entrait dans l'ordinateur. Quand Helmut s'approchait à nouveau de l'échiquier, je prévenais Ken, et il me donnait le meilleur coup actuel de Belle. Je le dictais par transmission radio à l'écouteur de Dieter, et il l'exécutait le plus naturellement possible sur l'échiquier.

Des images de la production TV originale.

Après quelques heures, Helmut Pfleger a gagné toutes ses parties, mise à part celle contre Belle. Cependant, au 49ème coup, a manqué un gain forcé:

 
 

Immédiatement après le match, nous avons braqué une caméra sur Helmut Pfleger et lui avons demandé s'il avait remarqué quelque chose d'inhabituel. Rien. Nous lui avons dit qu'une des parties avait été jouée par une machine. Helmut a été très surpris. "Laquelle était-ce?" Il était stupéfait d'apprendre que c'était celle qu'il avait perdu. "Je n'ai vraiment rien remarqué. Wow, ces choses jouent vraiment très bien au jour d'aujourd'hui!"

2.2 Le test de Turing appliqué au jeu d'échecs

Quelques jours après l'événement, nous avons imprimé cinq des parties jouées lors de la simultanée et les avons envoyées à des experts du monde entier, en leur demandant d'identifier l'ordinateur. Si la plupart des experts se sont trompés, la plupart des experts en informatique ont vu juste! Une exception dans le premier groupe a été le jeune Garry Kasparov, 17 ans, qui participait au championnat du monde junior à Dortmund. Lorsque je lui ai montré les parties à l'occasion du dîner de clôture, il a infailliblement identifié l'ordinateur. Toutes les autres parties, a-t-il expliqué, contenaient des erreurs tactiques avec effet immédiat qu'un ordinateur n'aurait jamais commises.

Garry Kasparov, vainqueur du championnat du monde junior à Dortmund en 1980.
Le deuxième était Nigel Short, à droite, et le troisième était le MI chilien Ivan Eduardo Morovic, à gauche.

Le coup monté par Friedel-Thompson-Belle n'était bien sûr pas à proprement parler un exemple de tricherie. Il s'agissait d'une expérience dans laquelle la tromperie a été immédiatement révélée. On ne peut pas en dire autant des exemples suivants, dans lesquels les auteurs ont essayé de cacher leurs activités du mieux qu'ils pouvaient.

2.3 L'affaire von Neumann 

Lors du World Open 1993 à Philadelphie, un joueur totalement inconnu est apparu, se faisant appeler John von Neumann, bien que noir et portant des dreadlocks, il n'avait rien avoir avec le fameux mathématicien. Il a joué excellemment, faisant match nul contre le GM Helgi Olafsson à la deuxième ronde. Mais lors de la quatrième, il s'est soudainement arrêté au neuvième coup et a perdu au temps. Voici la partie:

J. von Neumann - D. Shapiro [C44] Philadelphia Open, 1993: 1.e4 e5 2.f3 c6 3.d4 exd4 4.e5. Un coup très étrange. Peut-être que von Neumann a manqué un coup Noir, par exemple ...♞f6. 4...ge7 5.e2 f5 6.0-0 e7 7.bd2 0-0 8.b3 d6 9.exd6 xd6 et les Blancs ont simplement arrêté de jouer et perdu au temps. 0-1.

Voici comment s'est déroulé le match de la neuvième ronde:

J. von Neumann - NN [B40] Philadelphia Open, 1993: 1.e4 c5 2.f3 e6 3.d4 cxd4 4.xd4 f6 5.c3 b4 6.e5 d5 7.d2 xc3 8.xc3 xc3+. Ici, von Neumann a réfléchi pendant quarante minutes, bien qu'il n'y ait qu'un seul coup raisonnable. Puis il a disparu pendant un moment, est revenu, a joué 9.bxc3 et a gagné le match. De toute évidence, il y avait un problème de communication qui devait être résolu.

Von Neumann a remporté un prix dans la catégorie des joueurs sans classement Elo. Naturellement, les gens se méfièrent de ce joueur inconnu et très peu orthodoxe. Avant de lui remettre le chèque de 800 dollars, les organisateurs lui ont demandé de résoudre un simple problème d'échecs. Il a refusé, s'est retourné et est parti, et on ne l'a plus jamais revu dans les tournois d'échecs.

Addendum

Après avoir publié cet article, nous avons reçu le message suivant de Denis F Strenzwilk :

J'ai lu avec intérêt l'article de Frederic Friedel, en particulier la section sur la partie entre John von Neuman et Daniel Shapiro. Je jouais sur l'échiquier à côté d'eux lors de la quatrième ronde de l'Open mondial de 1993, mon adversaire était un Russe nommé Vladislav Dereviagin. Mon souvenir de l'incident est le suivant: J'ai regardé mon appariement et suis allé à mon échiquier. Je ne connaissais pas mon adversaire, Dereviagin, ni le jeune homme noir avec des dreadlocks. Je ne savais même pas qu'il se faisait appeler John von Neuman, car le scientifique que je suis aurait reconnu ce nom. Je connaissais Daniel Shapiro, ayant joué plusieurs parties contre lui. Je me souviens des coups de la partie différemment de ce que vous avez enregistré. Je pensais que les deux premiers coups étaient 1 e4 e5 2 ♘f3 ♞f6, puis, d'une manière ou d'une autre, von Neuman a perdu un ♙, a joué environ neuf coups et a laissé son temps s'écouler. Très étrange! J'ai parlé brièvement avec Daniel après la partie. Il m'a dit qu'il y avait des gens qui étaient très intéressés par ce que faisait von Neuman. C'était la première fois que je savais que quelque chose n'allait pas. Dans les semaines et les mois qui ont suivi, cette affaire a été relatée dans les publications échiquéennes. Si jamais vous obtenez plus d'informations sur cette affaire, j'espère que vous les publierez. Je m'interroge sur cet incident depuis 1993.

– Troisième partie à suivre prochainement! –


Liens


Après plus de vingt ans passés dans l'organisation du Festival international d'échecs de Bienne (Suisse), Paul Kohler en est maintenant le secrétaire général et le directeur du tournoi fermé des Grands Maîtres (GMT). Depuis septembre 2016, vous pouviez lire ses posts quotidiens et ses tweets pour ChessBase dans la langue de Molière. Dorénavant, c'est sur le portail francophone que vous pouvez lire ses articles.

Commenter

Règles pour les commentaires

 
 

Pas encore enregistré? S'inscrire