Le délai de diffusion de 15 minutes revisité

Par Frederic Friedel
02/10/2022 – Lorsque l'organisation de la Sinquefield Cup 2022 a décidé, après la troisième ronde, de mettre en place un délai de quinze minutes pour la diffusion des coups, nous avons ressenti une certaine satisfaction. N'avions-nous pas suggéré exactement cela à la FIDE, il y a dix-sept ans, comme une mesure possible pour contrer la tricherie aux échecs? Au moins pour la rendre plus difficile! Tout le monde n'a pas été satisfait de la proposition et de sa mise en œuvre à Saint Louis. Qu'en pensez-vous? | Traduction française par Paul Kohler d'un article en anglais de Frederic Friedel.

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L'idée a été proposée pour la première fois - du moins par moi - le 17 octobre 2005. C'était le jour de départ après le tournoi du championnat du monde de la FIDE à Saint-Louis. Vers la fin de l'événement, certains joueurs avaient soupçonné que des signaux aient été émis pendant l'événement. Les responsables de la FIDE étaient inquiets et discutaient de la question lors des réunions de leur conseil d'administration.

J'ai eu une longue et intense conversation avec les vice-présidents de la FIDE, Zurab Azmaiparashvili et Israel Gelfer, et j'ai proposé une solution simple, destinée à rendre plus difficile la tricherie des joueurs pendant un événement de haut niveau. Il s'agissait de retarder de quinze minutes la diffusion en direct des coups sur Internet. La proposition a été accueillie avec enthousiasme par les deux vice-présidents, qui m'ont demandé de la rédiger et de la soumettre au Conseil présidentiel de la FIDE. C'est ce que j'ai fait, au moins à trois reprises, au fil des ans.

Vous pouvez lire le contenu de la proposition et sa genèse dans cet article. Une version complète de ma soumission formelle est donnée dans les liens ci-dessous.

Objections

Or, après les soudaines allégations de tricherie survenues à Saint-Louis cette année, les organisateurs ont décidé, après la troisième ronde, d'instaurer soudainement un retard de 15 minutes dans le jeu diffusé sur Internet. J'ai été très heureux d'entendre cela. Mais un bon ami, qui est normalement très astucieux et dont j'admire profondément l'intelligence, a réagi de manière critique. Il a écrit:

Votre solution à la tricherie aux échecs me rappelle une célèbre citation d'un général américain faite pendant la guerre du Vietnam, "Afin de sauver le village (des Vietcongs) nous devons d'abord le détruire". Par conséquent, nous obtenons une nouvelle directive de Friedel, "Afin de sauver les échecs des tricheurs potentiels, nous devrions d'abord détruire le plaisir découlant de la diffusion des parties en direct."

Cela m'a laissé pantois. L'ami suggérait-il que le plaisir du jeu d'échecs en direct était entièrement basé sur le fait de voir chaque coup au moment précis où il était joué? Si moi, assis ici à Hambourg, à 7'500 km de Saint-Louis, je me rends compte que les coups que je vois dans la retransmission ont en fait été exécutés quinze minutes plus tôt, alors cela détruirait-il mon plaisir? Comme cela le ferait pour quelqu'un à Sydney, à 14'000 km de là? Et cela détruirait le plaisir des 99,9 % de spectateurs du monde entier qui, comme moi, regardent les matches sur Internet?

Cela signifierait-il qu'avec le délai de diffusion de 15 minutes, seuls les habitants de Saint-Louis, présents dans les salles de jeu du site du tournoi, profiteraient réellement des parties?

Quoi qu'il en soit, il y a dix-sept ans, dans ma proposition à la FIDE, j'avais suggéré que nous devions prendre des mesures pour résoudre un problème imminent. "Ces mesures n'éliminent pas complètement le problème", écrivais-je. "Elles rendent simplement la tricherie beaucoup plus difficile." Les mesures que je proposais, en résumé, étaient les suivantes :

  1. Aucun appareil électronique ne devrait être autorisé dans la salle de jeu lors des tournois de haut niveau. Des sanctions claires doivent être prévues pour le transport d'appareils électroniques, même s'ils ne sont manifestement pas destinés à des fins illégales.
  2. Les seconds et les associés du joueur en compétition ne doivent pas être autorisés à être présents dans la salle de jeu, ou ils doivent être convenablement mis à distance des joueurs.
  3. Le plus important: la transmission des coups en dehors de la salle de jeu doit être retardée d'un certain temps (15 minutes pour les parties classiques).
  4. Les salles de repos pendant les matches ne sont organisées que si les deux joueurs sont d'accord. Des toilettes communes doivent être utilisées.
  5. Des sanctions sévères et prédéfinies doivent être prises à l'encontre des joueurs pris la main dans le sac.

Le retard dans la diffusion (3) était d'une importance considérable. Il serait mis en œuvre en construisant une boucle de relais dans la transmission des coups depuis les échiquiers vers le monde extérieur. Albert Vasser, travaillant pour l'entreprise DGT, a pu mettre cela en place en quelques jours. Les écrans géants pourraient afficher la position actuelle de l'échiquier localement dans la salle de jeu, mais un module de retardement (logiciel) la transmettrait à l'Internet après un laps de temps donné, les coups apparaissant à peine 15 minutes plus tard dans la diffusion au rythme exact où ils ont été joués. Cela serait à peine perceptible pour les internautes du monde entier.

L'installation de ce mécanisme signifie que toute aide extérieure aux joueurs serait fortement entravée. Même si un tricheur est équipé d'un dispositif de réception très sophistiqué, qui échapperait même aux détecteurs de métaux, ses complices ont le problème de recevoir les coups du lieu de jeu à temps pour les analyser et transmettre leurs résultats au tricheur.

À l'époque, j'ai été sévèrement pris à partie par un journaliste du magazine New in Chess. Tout d'abord, il m'a rappelé que la grande majorité des joueurs n'avaient aucune envie de tricher, et il ajouta:

En tout cas, il faut éviter tout "remède" qui est bien pire que le mal, tel le délai de 15 minutes pour le transfert des coups qui, une fois de plus, a été promu sur le site ChessBase. En surface, l'idée ne semble pas si mauvaise (les tricheurs n'obtiendront pas les coups signalés à temps, car leurs copains perdent de précieuses minutes), mais en fait, elle manque totalement de logique.

M. Friedel sait très bien que le délai de 15 minutes n'a de sens que si vous prenez des mesures supplémentaires substantielles [que j'avais toutes incluses-ff]. Mais si vous appliquez toutes ces mesures supplémentaires (telles que la fouille des joueurs, le blocage des signaux radio, l'interdiction d'entrer ou de sortir de la salle pendant la ronde), il n'y a aucune raison pour laquelle vous devriez avoir un délai de 15 minutes en premier lieu! Pourquoi priver les téléspectateurs de ce luxe merveilleux qu'est le suivi des parties en temps réel?

Honnêtement, maintenant que nous avons tous regardé six rondes de la Sinquefield Cup à Saint-Louis avec le délai de 15 minutes, cela a-t-il vraiment gâché votre plaisir? L'excitation ressentie lors des trois premières rondes, lorsque les coups étaient affichés sur l'écran au moment précis où ils étaient joués, a-t-elle été perdue?

Le délai de diffusion de 15 minutes était particulièrement pertinent en 2005, lorsque je l'ai proposé pour la première fois. À l'époque, et au cours des années suivantes, il était nécessaire d'utiliser un grand ordinateur de bureau afin de voir plus loin qu'un joueur. Généralement, l'ordinateur qui assistait un joueur se trouvait à l'autre bout du monde - et les organisateurs lui transmettaient les coups de l'adversaire en temps réel. C'est ce que le délai était censé empêcher. Avec ce délai, l'assistant devrait quitter la salle de jeu après chaque coup pour le transmettre aux conspirateurs. Cela aurait été assez facile à repérer.

Aujourd'hui, la situation a quelque peu changé. Il est tout à fait possible que ma smart watch puisse jouer à Saint-Louis et tenir tête à l'élite mondiale. Il s'ensuit qu'un membre du public qui porte une montre pourrait signaler à un joueur qu'il a une chance extraordinaire, un coup brillant. Il suffirait de jeter un coup d'œil à la montre pour s'en rendre compte. Je n'ai pas réellement essayé de suivre un match et de voir l'analyse d'un programme à plus 3000 Elo sur une smart watch. Il se peut que ce ne soit que pure spéculation de ma part. Mais si cela n'est encore réalisable, laissez-moi vous assurer qu'il ne faudra que quelques mois ou un an pour que cela devienne une possibilité très réelle.

Comment cela influencera-t-il les échecs, le jeu que nous aimons tous? J'ai demandé à un ami, expert en communication électronique, d'assister à un tournoi de haut niveau et à un match de championnat. Il a fouiné, a vu comment les gens étaient contrôlés à l'entrée, comment un écran de verre empêchait les joueurs de voir le public. Je lui ai également montré qu'avant le début de la ronde, nous avions accès à la scène, à la salle de repos des joueurs, aux couloirs et aux toilettes. Il était effondré. Le rapport qu'il m'a remis après avoir étudié toutes les conditions commençait par cette déclaration: "Quel dommage, c'était un jeu si merveilleux!"

Mais tout n'est pas perdu. Un autre ami passionné d'échecs, qui fut expert en sécurité auprès du gouvernement américain, a promis de me donner un catalogue des mesures à prendre au jour aujourd'hui. Elles ne seront pas aussi sévères que la "solution" suivante:

Lorsque Andrew Paulsen était vivant et qu'il organisait un championnat du monde pour la FIDE, il m'a consulté. Nous avons décidé qu'il ne serait possible d'empêcher rigoureusement la tricherie qu'en organisant le match dans une cage de Faraday, dans un endroit éloigné, sans spectateurs. Andrew a commencé à négocier avec l'État du Bhoutan pour organiser le championnat dans l'Himalaya. Il voulait en faire un événement purement Internet. Mais cela ne s'est pas concrétisé. Le match s'est donc déroulé de manière traditionnelle. Il reposait sur la détection de métaux à l'entrée, mais surtout sur la confiance dans l'honnêteté des joueurs.

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