Comment DeepMind a transformé l'intelligence artificielle

Par Paul Kohler
29/11/2025 – DeepMind Technologies a révolutionné la recherche en intelligence artificielle et, malgré son histoire encore relativement courte, a produit de nombreux résultats et avancées précieux. Avec ses programmes de go et d'échecs AlphaGo et AlphaZero, DeepMind a fait beaucoup de bruit dans le monde des jeux stratégiques, mais bien sûr, l'objectif va bien au-delà de la simple victoire. Un film sur ce sujet a été présenté au Festival de Tribeca et est désormais disponible available sur YouTube.

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Épistémologie de l'IA

Fondée en 2010 à Londres par Demis Hassabis, Shane Legg et Mustafa Suleyman, DeepMind Technologies s’est rapidement imposée comme l’une des entreprises les plus innovantes dans le domaine de l’intelligence artificielle. Dès le départ, les fondateurs ont adopté une approche inspirée des neurosciences, lesquelles proposent des modélisations pour essayer de rendre compte du "fonctionnement" de l'intelligence humaine, localisé dans une machine appelé cerveau, considéré comme un simple substrat de matière dont les fonctions – mémoire, raisonnement, intuition, décision – peuvent être décrites par des algorithmes, lesquels peuvent être implémentés par des réseaux de neurones artificiels soumis à l’apprentissage par renforcement, la recherche Monte-Carlo permettant à la machine de découvrir seule (sans input des programmeurs humains) des stratégies optimales.

Dans ce cadre réductionniste, il est postulé que l’intelligence, y compris la plus créative, émerge mécaniquement de l’optimisation d’une fonction de récompense. Le cerveau n'est qu'une machine complexe qui produirait a elle seule l'intelligence, et la conscience n'est qu'un épiphénomène.

On doit reconnaître à cette thèse matérialiste, assumant que le postulat darwinien selon lequel le complexe peut naître du simple, de formidables résultats heuristiques et pratiques – pour le meilleur, mais souvent aussi pour le pire... En effet, Rabelais (p.15) nous prévenait déjà que science sans conscience n'est que ruine de l'âme. Et lorsqu'on se rend compte des méfaits occasionnés par le "champion de la modélisation" Neil Ferguson, d'abord aux vaches, puis presque vingt ans plus tard à l'humanité, ne sont connus que d'une infime partie de la population, laquelle ne fait pas partie des décideurs, il y a vraiment fort à craindre de ces techniques de modélisation de "systèmes", telle l'intelligence, dont on ne comprend pas grand chose – car plus on en comprend quelque chose, plus cela élargit le champ de notre méconnaissance; c'est en ce sens que Platon fait dire à Socrate en plusieurs endroits: ἕν οἶδα ὅτι οὐδὲν οἶδα ("Je ne sais qu'une chose, c'est que je ne sais rien.", thématique qu'on retrouve ici (21d), ici (80d) ou encore ici (p.21), et qui est au cœur de la démarche socratique qui est une maïeutique).

Il va de soi que DeepMind Technologies, en tant qu'entreprise phare de la quatrième révolution industrielle, ne peut guère s'émouvoir des considérations des lanceurs d'alerte qu'ont pu être, en l'occurrence, Rabelais et celui qui a préféré boire la ciguë, face à l'ostracisation prononcée par ses juges soucieux de garder leurs privilèges, ce qui impliquait la nécessaire censure de l'esprit critique que les élites d'alors assimilaient non au "conspirationnisme", mais à la "corruption" du citoyen – ce qui dans la pratique revient au même.

L’intelligence artificielle au service de quels maîtres?

Surfant donc sur la vague d'un des créneaux les plus porteurs de l'industrie du XXIe siècle (avec les armes biotechnologiques et de géoingénierie, dont l'IA est par ailleurs l'agent fondamental), DeepMind ne va pas tarder à attirer l’attention. Parmi les premiers investisseurs figuraient des figures emblématiques de la tech:

  • Elon Musk (Tesla, SpaceX, Neuralink, xAI)
  • Peter Thiel (PayPal, Palantir Technologies – le principal outil de surveillance prédictive des agences de renseignement américaines)
  • Jaan Tallinn (Skype, mais aussi financeur majeur du Centre for the Study of Existential Risk et de nombreuses structures transhumanistes)
  • Li Ka-shing (Horizon Ventures), dont les intérêts couvrent la pharmacie, les ports et les infrastructures critiques.

Pour mettre leurs algorithmes à l’épreuve, les chercheurs de DeepMind se sont attaqués à des jeux de stratégie complexes, avec l'idée de rendre leur machine plus douée que les Hommes dans cet exercice, en écartant dès le début le plus possible l'influence de cette entité has-been jugée désormais en surnombre par les principaux investisseurs et profiteurs du mondialisme. C'est ainsi que l'objectif a été atteint grâce à des des programmes capables d’apprendre seuls, à partir de zéro, juste avec le minimum de règles données par le programmateur.

Une ascension fulgurante

Le tournant a lieu en 2015-2017 avec AlphaGo. Longtemps considéré comme insurmontable pour une IA en raison de son immense espace de possibilités (bien plus vaste qu’aux échecs), le jeu de go tombe pourtant sous la coupe d’AlphaGo: victoire 5-0 contre le champion d’Europe Fan Hui en 2015, puis triomphe historique contre Lee Sedol, l'un des tout meilleurs joueurs mondiaux, en 2017. AlphaGo Zero, version encore plus radicale, apprendra ensuite le jeu sans aucune donnée humaine, uniquement en jouant contre lui-même.

Les développeurs de DeepMind se tournent alors vers le jeu d'échecs. Dans ce domaine, la bataille entre l’homme et la machine était déjà tranchée en faveur des programmes d’échecs depuis un certain temps. Le champion du monde Kasparov avait perdu contre Deep Blue d’IBM en 1997, et le champion du monde Kramnik avait été battu par le logiciel Deep Fritz en 2006. À cette époque, le moteur open-source Stockfish s’était imposé comme le programme d’échecs le plus fort et fut choisi comme adversaire pour DeepMind. Lors d’une série de parties, le meilleur moteur logiciel du monde fut écrasé par AlphaZero (2017), qui, après quelques heures seulement d’entraînement, écrase Stockfish en s'imposant sur le score sans appel de +28 −0 =72.

Demis Hassabis en conversation avec le GM Matthew Sadler

Le secret de cette performance? Une méthode d’auto-apprentissage intensif basée sur l’arbre de recherche Monte-Carlo (MCTS) couplée à des réseaux de neurones profonds. Le programme joue des millions, voire des milliards de parties contre lui-même à une vitesse fulgurante, identifie les stratégies gagnantes et les intègre progressivement. Grâce aux immenses ressources informatiques de Google, DeepMind a pu pousser cette approche bien au-delà de ce que les moteurs traditionnels pouvaient accomplir.

Mais les jeux n’étaient qu’un terrain d’expérimentation. L’ambition réelle de DeepMind a toujours été bien plus vaste.

  • AlphaFold (2020) et AlphaFold 2 (2021) ont révolutionné la biologie en résolvant l’un des plus grands défis de la science: prédire avec une précision inédite la structure tridimensionnelle des protéines à partir de leur séquence d’acides aminés. De nombreux scientifiques considèrent aujourd’hui ce problème comme «résolu». En 2024, Demis Hassabis et John Jumper recevront le prix Nobel de chimie pour cette avancée.
  • AlphaTensor (2022) a découvert de nouvelles méthodes plus rapides pour multiplier des matrices, améliorant même des algorithmes vieux de plus de 50 ans.
  • AlphaEvolve (2025) est un agent IA capable d’optimiser automatiquement du code et des algorithmes en s’appuyant sur des grands modèles de langage (LLM) comme Gemini.

Et ce n’est qu’un aperçu. DeepMind continue de produire des algorithmes révolutionnaires appliqués à la science, la médecine, l’énergie ou encore la programmation.

Un documentaire complet sur cette aventure, présenté au Tribeca Film Festival, est désormais disponible sur YouTube:

Conclusion

AlphaZero joue magnifiquement aux échecs, mais il ne sait pas pourquoi on joue. AlphaFold prédit les protéines avec une précision inouïe, mais il ne se demande pas à qui profitera demain la maîtrise totale de la biologie moléculaire. L’intelligence qu’on fabrique est littéralement dépourvue de finitude, de responsabilité et de sens du tragique – c’est-à-dire de tout ce qui, depuis toujours, fait de l’intelligence humaine autre chose qu’un simple calcul.

DeepMind n’est pas une entreprise comme les autres. Elle est le laboratoire avancé d’un projet civilisationnel dont les véritables finalités restent concentrées entre très peu de mains. Le documentaire du Tribeca Film Festival célèbre le génie technique; il serait temps qu’un autre raconte, sans complaisance, qui paie, qui décide et à quoi tout cela est censé servir.

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Après plus de vingt ans passés dans l'organisation du Festival international d'échecs de Bienne (Suisse), Paul Kohler en est maintenant le secrétaire général et le directeur du tournoi fermé des Grands Maîtres (GMT). Depuis septembre 2016, vous pouviez lire ses posts quotidiens et ses tweets pour ChessBase dans la langue de Molière. Dorénavant, c'est sur le portail francophone que vous pouvez lire ses articles.
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