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La nouvelle version 18 offre de toutes nouvelles possibilités pour l'entraînement et l'analyse: analyse stylistique des joueurs, recherche de thèmes stratégiques, accès à 6 milliards de parties LiChess qui permet une préparation optimale contre les futurs adversaires, téléchargement des parties sur chess.com avec API intégrée, moteur cloud intégré et bien plus encore.
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Frederic Friedel était journaliste scientifique lorsqu’il cofonda, ChessBase en 1987. La deuxième ville d'Allemagne est toujours le siège de la firme, devenue n°1 mondiale des logiciels d’échecs. Associé dès le début, le programmeur Matthias Wüllenweber, créa l’architecture de la première base de données échiquéenne professionnelle de l’histoire: ChessBase 1.0. Peu après - en 1991 - naquit l’iconique Fritz, développé sous DOS par Frans Morsch et mis en lumière sous Windows par Mathias Feist.
Le «gourou» de ChessBase a aujourd’hui 75 ans. Il considère que l’Intelligence Artificielle peut être la clé du futur, pour que les humains vivent mieux sur terre. Il est toujours aussi optimiste et enthousiaste. Il exprime ses espoirs, mais, cependant, également ses peurs et ses doutes. Comment cohabiterons-nous avec ces ordinateurs d’un nouveau type lorsqu’ils seront devenus aussi intelligents que nous, et même plus?
L'article qui va suivre découle d'un entretien téléphonique réalisé par Jean-Michel Péchiné, éditeur de la revue Europe Échecs, en décembre 2020. Il a été publié dans le n° de février 2021 de la revue, que vous pouvez acheter ici.
Jean-Michel a été conseillé et guidé par Henri Assoignon, du bureau administratif d'Europe Échecs.
C’est la magie de la technologie et Fredric Friedel s’en réjouit. Il considère ses programmes comme ses propres enfants. Comment aurait-il pu croire, il y a 34 ans, que son entreprise révolutionnerait le monde des échecs comme nul autre joueur ou théoricien ne l’avait fait auparavant? Sa rencontre avec Garry Kasparov, en 1985, fut décisive. Le champion du monde s’associa au processus de création de ChessBase. L'intelligence de Kasparov associé à celle des programmeurs - l'équipe gagnante qui parvint, au temps des pionniers de l’informatique, d’Atari à Windows, à implémenter dans la force brute des machines la pratique humaine de ce jeu millénaire.A l’instar de Steve Jobs, cofondateur d’Apple, la volonté de Frederic Friedel était de démocratiser l’accès à la haute technologie. Comme il le souligne, c’était aussi le vœu de Kasparov. C'est ainsi que depuis cette époque ChessBase offre à un coût abordable la possibilité pour tout un chacun d’acquérir des outils de pointe pour s'entraîner et se préparer. On peut dire dès lors que ChessBase a porté sa pierre à la mondialisation et à la démocratisation des échecs!
Ce programme de jeu «grand public» a débuté modestement, mais sa puissance de calcul a été exponentielle. En 2002, Deep Fritz annula un match à cadence classique contre Kramnik (4-4), et X3D Fritz fit pareil l'année suivante face à Kasparov (2-2). En 2006, Kramnik perdit 4-2 contre Deep Fritz. À partir de cette époque, il ne fait plus sens de confrontater l'Homme à la machine. En effet, on ne met pas non plus en compétition du 100m Usein Bolt et une Ferrari! Mais cela n'empêcha pas l'entreprise allemande de continuer à développer constamment Fritz. C'est ainsi que le créateur de Rybka, Vasik Rajlich, a développé la version 15, et qu'en 2018 était lancé Fat Fritz. Son intégration à la dernière version du programme ChessBase - ChessBase 16 sorti en novembre dernier - inaugure à sa manière l'avènement toujours plus envahissant de l'intelligence artificielle dans nos vies, ici à travers les nouvelles fonctions et applications que ce duo de logiciels combine et propose à l'utilisateur. Fat Fritz est un programme de réseau neuronal. Contrairement à ses prédécesseurs, ce ne sont pas les maîtres humains qui lui ont appris à jouer aux échec; mais il a joué des millions de parties contre lui-même et est devenu de plus en plus fort en tirant ses conclusions des analyses qu'il fit de chacune d'elles. En un an, le prototype est passé d’un niveau de débutant absolu à un classement Elo flirtant avec les 3600 points !
Avec ce programme, nous avons réalisé une expérience d’intelligence artificielle, explique Frederic Friedel. Nous avons utilisé la même stratégie que Google DeepMind avec AlphaZero, qui a été développé par mon vieil ami Demis Hassabis. Nous avons créé notre propre programme, que nous avons appelé Fat Fritz. Comment avons-nous fait? En décembre 2017, un spécialiste de Deep Blue Artificial Intelligence, Thore Gräpel, est venu nous voir à Hambourg. Il nous a délivré tous ses secrets, et nous avons utilisé les mêmes techniques de base. Un an après, j’ai cet ordinateur très puissant ici-même, sous mon bureau. Il jouait contre lui-même, tout le temps, près de 90 000 parties par jour. Au total, il a joué des dizaines de millions de parties. Un ordinateur similaire, au Brésil, récupérait ses parties et apprenait à partir de chacune d’elles. Ce projet était dirigé par mon ami et collègue Albert Silver.
La seule chose que nous avons faite, au départ, c’est de lui apprendre les règles de base. Comment se déplace une ♕, une ♖, un ♘, ce qui est permis ou non (comme par exemple les conditions du roque), et le but du jeu. Lors de ses premières centaines de parties, l'ordinateur jouait absolument tel un idiot. Après quelques milliers, il a commencé à jouer avec le niveau d’un débutant et après quelques millions, Fat Fritz est devenu vraiment très fort. Il a appris ce qu’il faut faire pour gagner. Il savait évaluer une position. Il connaissait la valeur des pièces, celle d’un ♝, d’un ♞. Il a compris qu’une ♛ vaut, selon les situations, 8 ou 9♟. Il savait quelle stratégie adopter. Il est ainsi devenu l’entité la plus forte qui ait jamais joué aux échecs, plus fort que Fritz ou Komodo.
Et donc, Fat Fritz a d'abord appris seul. Les programmeurs d'échecs sont parmi les premiers êtres humains à expérimenter directement la force de cette nouvelle technique de programmation. Les applications sont infinies et vont se développer dans toutes les sphères de la vie. Elles vont toucher tous les domaines, science, technologie, écriture et même le monde juridique. Nous pouvons montrer des milliards de décisions juridiques à l’IA et, là aussi, elle apprend à partir de chacune d’elles. Au final, elle peut rendre des verdicts plus équitables et avec plus de compétence que les juges humains.
Depuis l’aube de l’humanité, rien ne peut être comparé à cette révolution. C’est comme si une forme de vie inconnue avait atterri sur notre planète, arrivant d’une lointaine galaxie. Soudain, nous avons une machine qui ne «pense» peut-être pas comme un être humain, mais qui agit de la même manière. Mais elle n'est peut-être pas en mesure de vous dire comment elle parvient à ses décisions. Prenez l'exemple des échecs: Si vous demandez à un programme d’IA pourquoi ce coup est-il meilleur qu’un autre? Il vous répondra: «Parce que statistiquement, il est 1% meilleur que le meilleur coup suivant.» Il ne peut pas vous expliquer son «raisonnement» avec des termes humains. Toutefois, cette mystérieuse «façon de penser» l’a déjà rendu considérablement plus fort que le meilleur joueur du monde.
Le classement actuel de Fat Fritz se situe aux alentours de 3500 à 3600 points Elo. Nul ne peut le battre, mais nous pouvons lui faire essayer certaines idées et voir comment il réagit. Vous testez une nouveauté ou un coup précis dans une position connue, et vous regardez ce qu’il répond. Vous vous dites: «Oh, c’est intéressant, il a pris le ♙!» ou, au contraire, «Pourquoi ne l’a-t-il pas pris?» Je vais vous l’expliquer autrement. Fat Fritz peut laisser une pièce en prise. Un GM qui analyse cette position dira que le programme a joué un coup «vraiment pourri» et il cherchera à démontrer pourquoi. Cinq coups après, le GM dira: «OK, ce n’était peut-être pas perdant, mais quoi qu’il en soit, ce n’était pas un bon coup.» Et cinq coups après, il constatera que la position est maintenant gagnante, et qu'il s'agissait donc d'un coup brillant!
Dans les ouvertures, Fat Fritz aime jouer 1.e4 et 1.d4, qui restent les meilleurs coups, selon lui. Il ne jouera pas 1.h4, par exemple. Nous n’avons cependant aucune idée de sa stratégie dans les ouvertures. Il a joué des millions de parties et préfère certains schémas de départ. Ensuite, nous avons commencé à lui montrer les parties des meilleurs joueurs de l’histoire contenues dans la Mega Database. Avec elles, il a appris les différents styles de jeu des humains: agressif, tactique, positionnelle, stratégique, etc. Il a modifié son style dans un sens que nous trouvons très intéressant. Il doit continuer à jouer contre lui-même, pour découvrir des choses qu’aucun humain n’avait découvertes avant lui. Il apprend à évaluer différemment les positions. Il doit découvrir des choses élémentaires, par exemple que trois ♕ gagnent contre zéro ♛, une situation qui ne s’est jamais produite dans une partie entre humains.
La seconde partie de l'interview va suivre très prochainement...