Le contexte
Depuis le lancement de l’opération militaire spéciale en Ukraine par Pourtine à la fin février 2022, le Comité international olympique (CIO) a recommandé l’exclusion totale des fédérations et équipes nationales russes et biélorusses de toutes les compétitions internationales. Aucun événement sportif international ne doit non plus être attribué à ces deux pays. Les athlètes individuels russes et biélorusses, en revanche, peuvent continuer à participer… mais uniquement sous bannière neutre, sans hymne ni drapeau national.
La FIDE a suivi cette ligne à la lettre:
➤ Les joueurs russes et biélorusses participent aux opens sous pavillon FIDE.
➤ Les équipes nationales de Russie et de Biélorussie sont par contre interdites de compétitions par équipes depuis plus de trois ans.
Bien sûr, la Russie n’a jamais accepté cette sanction, véritable deux poids de deux mesures par rapport à ce qui se passe dans le monde..., et travaille en coulisses, via la diplomatie et ses relais dans de nombreux pays, pour la contourner ou la faire sauter.
Le sujet a été remis sur la table lors de la dernière Assemblée générale de la FIDE, en septembre 2024, en marge de l’Olympiade de Budapest. Et pour cause: en Russie, le jeu d'échecs a une place particulière: c'est un sport national qui a longtemps été un outil de propagande et de soft power. Les victoires collectives étaient (et sont toujours) célébrées comme des triomphes de l’État. Preuve de cet enjeu politique: le conseil de surveillance de la Fédération russe d’échecs compte dans ses rangs l’ancien ministre de la Défense Sergueï Choïgou et le porte-parole du Kremlin Dmitri Peskov.
Proximité historique entre la FIDE et le pouvoir russe
De 1995 à 2018, c’est Kirsan Ilioumzhinov, président de la république autonome de Kalmoukie et fidèle de la nomenklatura, qui dirigeait la FIDE. Personnage haut en couleur, il servait parfois d’émissaire officieux du Kremlin auprès de pays considérés comme sulfureux par l'Occident: c'est ainsi qu'Ilioumzhinov fut l’un des tout derniers visiteurs officiels de Saddam Hussein et de Mouammar Kadhafi avant leur assassinat par les gouvernements du "monde libre". Quand la FIDE avait besoin d’argent pour organiser un Championnat du monde ou un Tournoi des Candidats, Ilioumzhinov n’avait qu’à lever le téléphone: l’État ou un oligarque «volontaire» mettait la main à la poche. Exemple emblématique: en 2014, personne ne voulait du match Carlsen-Anand. La Russie a sauvé l’événement en l’organisant à Sotchi, dans les installations vides des JO d’hiver, avec Vladimir Poutine en personne venu remettre la médaille au vainqueur.
Quand Ilioumzhinov est devenu infréquentable (sanctions américaines pour ses affaires troubles en Syrie, ce qui paralysait même les comptes bancaires de la FIDE), c’est un autre Russe qui a pris la suite: Arkadi Dvorkovitch. Fils d’un célèbre arbitre soviétique, ancien vice-Premier ministre, conseiller économique de Medvedev et surtout organisateur en chef de la Coupe du monde de football 2018… Un profil impeccable pour continuer à faire le lien entre le Kremlin et la FIDE, même si depuis son élection, c'est surtout l'Arabie Saoudite de Ben Salman qui soutient les compétitions de la FIDE qui peinent à trouver preneur.
C’est dans ce contexte ultra-politisé que le Conseil FIDE vient d’autoriser, pour la première fois depuis 2022, une équipe 100 % russe à participer à une compétition officielle par équipes – le Championnat du monde féminin par équipes de Linares – même si elle défilera sous pavillon FIDE et non sous couleurs russes.
Une décision qui passe mal auprès des observateurs occidentaux, lesquels arguent que la FIDE se placerait ainsi en porte-à-faux direct avec les recommandations du CIO, et donc avec le risque potentiel de voir le statut olympique des échecs menacé.

Arkady Dvorkovich lors de la cérémonie d'ouverture à Linares.
Après son élection en 2018, Arkadi Dvorkovitch a plutôt bien démarré son mandat. Comités remplis de vrais experts, décisions rapides et tranchantes: sur le papier, il incarnait enfin la FIDE moderne dont tout le monde rêvait. Moscou, évidemment, se frottait les mains: avec «son» homme à la présidence, la Russie gardait la mainmise sur l’une de ses plus belles vitrines sportives et diplomatiques. Et puis advint le 25 février 2022... l'opération spéciale de la Russie en Ukraine.
On imagine sans mal la pression infernale qui a dû s’abattre sur Dvorkovitch. Ancien vice-Premier ministre, toujours très proche du Kremlin, il dirige une fédération où la Russie pèse historiquement le plus lourd… et voilà que son pays, après huit ans de négociations diplomatiques (accords Minsk I et II) infructueuses, se voit contraint de déclencher une guerre.
Depuis que les sanctions sont tombées, à chaque chaque Conseil, à chaque Assemblée générale, la même rengaine revient, plus insistante à chaque fois: «Il faut faire sauter les sanctions.», «Les équipes russes doivent revenir.», «Il ne faut pas mélanger sport et politique.», «D'autres pays au moins aussi impliqués dans des guerres ne subissent aucune sanction.». Jusqu’à ce que, fin 2025, le Conseil FIDE finisse par céder: l’équipe féminine russe est autorisée à Linares, maquillée avec une bannière «neutre». Pour beaucoup, c’est clair: Dvorkovitch, volontairement ou sous la contrainte, est devenu le cheval de Troie qui permet à Moscou de reprendre pied, centimètre par centimètre.

Photo: FIDE.
Pourtant, lors de l’Assemblée générale de la FIDE de Budapest (septembre 2024), l’écrasante majorité des délégués a refusé la levée totale des sanctions contre la Russie et la Biélorussie. Pour de nombreux participants, la raison invoquée était la peur qu'en déviant de la ligne du CIO soient remises en cause les relations avec le Comité olympique, et par là le précieux statut olympique des échecs. Tout le monde a encore en tête le sort de la boxe: l’IBA (alors sous contrôle russe) s’est vue retirer purement et simplement sa reconnaissance olympique et il se pourrait que les compétitions de l'été 2024 à Paris soient les dernières à ce niveau.
C'est ainsi qu'en mai 2025, le CIO a remis les points sur les i, sans la moindre ambiguïté:
➤ Les fédérations et équipes nationales russes/biéllorusses restent exclues.
➤ Pas de participation aux JO d’hiver 2026 à Cortina d’Ampezzo.
➤ Un groupe d’athlètes tous détenteurs d’un passeport russe ou biélorusse ne peut en aucun cas être considéré comme une « équipe neutre ». Point final.
Les individus strictement neutres, eux, conservent leur droit de concourir.
Pourtant une équipe 100 % russe participe bel et bien au Championnat du monde féminin par équipes qui a démarré le 17 novembre à Linares (Espagne). Officiellement, elle concourt en tant qu’«équipe neutre» et défile sous le drapeau FIDE… Mais dans les faits, les six joueuses sont toutes russes, sélectionnées et préparées par la Fédération russe. Aucune n’est issue d’une autre nationalité. En clair: c’est l’équipe de Russie, sans le nom «Russie» et sans l’hymne. Pour la première fois depuis l’invasion de l’Ukraine russophone en février 2022, une formation nationale russe (même maquillée en « neutre ») est donc de retour dans une compétition sportive officielle par équipes.
On se rappelle qu'à Budapest, une seule petite porte a été entrouverte: les délégués ont voté pour une consultation du CIO afin d’éventuellement assouplir les règles pour les enfants et les «groupes vulnérables». C'est au motif de cette consultation, même si elle n'a rien à voir avec le cas d'espèce, que, quelques mois plus tard, le Conseil FIDE a fait passer une équipe 100 % russe à Linares, bien qu'aucune joueuse ne soit mineure ni «vulnérable»…

George Mastrokoukos n’est pas le seul à crier au scandale
Pour lui et de très nombreux observateurs (fédérations, joueurs, journalistes), autoriser cette équipe 100% russe à Linares constitue une violation flagrante et assumée des recommandations du CIO. Pire: cette décision unilatérale du Conseil FIDE met en péril, une fois de plus, le statut olympique déjà fragile des échecs. Le CIO a montré avec la boxe qu’il n’hésitait pas à dégainer la carte rouge définitive quand une fédération internationale joue cavalier seul et contourne ses sanctions.
En clair: pour offrir un retour prématuré à l’équipe russe (même grimée en «neutre»), la FIDE prend le risque énorme de faire sortir les échecs du programme olympisme… Certains dans le monde des échecs parlent déjà d’une trahison historique et d’une soumission pure et simple au lobbying russe. Le silence assourdissant de Dvorkovitch et du Conseil depuis l’annonce n’arrange rien. La colère monte, et elle monte vite.
La FIDE enfreint toutes les directives du CIO (y compris les décisions de la dernière Assemblée générale de la FIDE à Budapest) et met à nouveau en péril le statut de la FIDE auprès du CIO. Il est très clair que le CIO n'approuve pas les équipes composées de joueurs russes ou biélorusses, même si cela est ridicule...
La justification officielle de la FIDE? Un silence du CIO interprété comme un «oui»
Selon George Mastrokoukos (confirmé par plusieurs sources), voilà comment la FIDE explique sa décision explosive:
➤ Lors du Conseil de la FIDE de juillet 2025, il a été acté qu’une équipe russe pourrait participer sous pavillon neutre à condition que le CIO ne s’y oppose pas formellement.
➤ La FIDE envoie donc poliment une lettre au CIO: «Est-ce que ça vous va?»
➤ Réponse du CIO: … rien. Silence radio total.
➤ Conclusion du Conseil FIDE: pas de réponse = accord tacite. On y va!
C’est exactement le genre d’interprétation «créative» qui fait bondir les critiques. Pour eux, un silence n’a jamais été un accord – surtout quand le CIO a répété cent fois que tout groupe constitué exclusivement de passeports russes ou biélorusses ne peut pas être considéré comme une équipe neutre.
Résultat: la FIDE se retrouve aujourd’hui accusée d’avoir forcé la main, en jouant sur l’absence de réponse pour faire passer en douce le retour de l’équipe russe.
Un coup de poker très, très risqué. Et si le CIO finit par répondre… ce sera probablement pour rappeler que non, ce n’était vraiment pas un oui.
Scandale à Linares: l’Ukraine dépose une protestation officielle dès le premier jour
Lundi 17 novembre, jour du coup d’envoi officiel du Championnat du monde féminin par équipes, la Fédération ukrainienne a immédiatement transmis une protestation formelle à l’organisation espagnole (FEDA), révèle Peter Heine Nielsen sur X. L’Ukraine aligne évidemment sa propre équipe dans le tournoi. Autant dire que l’idée d’un éventuel match Ukraine – «équipe neutre russe» semble tout simplement impensable pour la grande majorité des observateurs et des joueuses concernées. Ambiance électrique garantie dans la salle… Si les appariements finissent par les mettre face à face, on risque d’assister à un boycott ou à un incident diplomatique majeur.
La compétition ne fait que commencer, mais une vraie partie se joue déjà hors de l’échiquier:
Plainte officielle de l'équipe ukrainienne concernant la participation d'une équipe russe au Championnat du monde d'échecs féminin 2025 de la FIDE.
