Dopage génétique: transhumanistes contre bioconservateurs

Par Paul Kohler
16/11/2025 – Le dopage génétique s'impose comme l'un des plus grands défis éthiques et scientifiques du sport moderne. Il ne s'agit plus seulement de substances interdites: la biotechnologie actuelle permet d'éditer des gènes et de moduler les fonctions physiques et cognitives pour booster les performances. Ce scénario alimente un débat passionné entre ceux qui défendent la liberté d'amélioration humaine et ceux qui alertent sur les risques pour l'équité, la dignité de l'athlète et l'essence même du mérite sportif. Cette problématique n'agite évidemment que les adeptes du sport spectacle. Pour ceux qui font du sport pour favoriser leur propre santé sur le plan général, le dopage sous quelques formes que ce soit n'a évidemment aucun sens. | Sur la base d'un article en espagnol d'Uvencio Blanco Hernández que nous avons adapté en nous inspirant de l'œuvre majeure de Guy Debord. | Image: Uvencio Blanco Hernández.

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Introduction

Lorsque nous parlons de dopage génétique, nous désignons l’«utilisation intentionnelle d’outils de biologie moléculaire pour introduire, éditer ou moduler des gènes afin d’augmenter les performances sportives». À la lumière des avancées récentes, il ne s’agit plus uniquement de substances interdites: on recourt à des vecteurs viraux (comme les AAV), à l’édition génique (grâce à CRISPR-Cas9), à l’ARN interférent ou à la modulation épigénétique pour activer ou inhiber des voies physiologiques (endurance, force, récupération) et même des fonctions cognitives cruciales (attention, contrôle exécutif).

Le dopage génétique se distingue de la thérapie (supposé restaurer la santé) par son objectif d’optimisation chez des sujets sains, brouillant, peut-être, la frontière entre guérir et améliorer, mais conforme dans les deux cas à la folie prométhéenne que nous annonçait Mary Shelley en 1818. Comme pour un autre moment de folie collectivement récemmet vécu où l'on prenait pour argent comptant l'annonce, par le directeur de la production lui-même, de produits issus de la biotechnologie comme étant "sûrs et efficaces à 95%", la publicité pour le dopage génétique garantit une efficacité accrue et des effets durables, au prix toutefois de quelques risques: réactions immunitaires, altérations hors cible, effets tardifs inconnus et inégalités compétitives.

À noter que la détection du dopage par cette méthode est quasi impossible (modifications endogènes), ce qui mettra enfin un terme à l'hypocrite contrôle antidopage, tout en posant la question  de jusqu’où peut-on redessiner l’athlète pour qu'il soit encore légitime de lui conférer quelque mérite à ses succès?

Grandes transformations

Les progrès en neuroscience et biotechnologie ont bouleversé les débats éthico-philosophiques, y compris dans le domaine du sport où l'une des controversers les plus vives concernent le dopage génétique, défini par l’AMA comme l’introduction ou la modulation de gènes à des fins d’amélioration.

Deux visions s’opposent:

  1. Transhumanistes: partisans de la légitimité des technologies d’amélioration humaine.  
  2. Bioconservateurs: défenseurs de l’essence du sport et de la dignité humaine.

Ce débat s’inscrit dans la neuroéthique sociale, qui analyse l’impact culturel, éducatif et sociétal des neurosciences.

Le sport à l'ère de la Société du Spectacle et le principe de performance

Selon Huizinga et Guttmann, le sport moderne s’est éloigné de sa dimension ludique originelle pour devenir un système bureaucratique et rationalisé, centré sur le principe de performance. Le record et la devise citius, altius, fortius – «plus vite, plus haut, plus fort» –ont légitimé l’exigence extrême et la quête d’améliorations artificielles – sans compter l'attente du Spectateur, dont la quantité est souvent proportionnelle aux contreparties financières espérées en retour de l'investissement..

Le dopage génétique est l’extension logique de la place spectaculaire qu'a pris le sport dans la société: il ne s’agit plus seulement d’entraînement et de nutrition plus ou moins "stimulés", mais d’intervention sur la structure biologique de l’athlète.

Perspective transhumaniste

  • Claudio Tamburrini

Critiquant le dopage traditionnel pour ses effets incertains et nocifs, il plaide pour lever l’interdiction afin de l’étudier ouvertement. Il voit dans l’ingénierie génétique un moyen de corriger les inégalités de la «loterie génétique», favorisant ainsi l’égalité des chances. Il assimile la manipulation somatique aux usages thérapeutiques: si l’on accepte la génétique pour guérir, pourquoi pas pour performer?

Problème central: cette position contredit le principe de dignité humaine et risque de réduire le corps de l’athlète à un moyen lucratif plutôt qu’à une fin en soi – mais y a-t-il là quelque chose de vraiment neuf sous le soleil capitaliste?

  • Julian Savulescu

Il défend la légitimité morale du dopage sous conditions de liberté et de régulation. Il prône une légalisation contrôlée pour garantir égalité, justice et sécurité. Interdire le dopage crée des inégalités: beaucoup s’y adonnent en secret. Pour lui, choisir de se doper équivaut à choisir un entraînement ou un régime.

Risque éthique: normaliser une logique mercantiliste qui détruit l’éthos moral du sport – pour les bienpensants qui s'aveuglent à croire que cet éthos moral a jamais existé avec la problématique du transhumanisme...

Perspective bioconservatrice

  • Michael Sandel

Dans The Case Against Perfection, il rejette le perfectionnement technologique car il porte atteinte à la gratuité du don humain et à l’authenticité du talent. Le sport perdrait son essence si l’effort et le talent naturel étaient remplacés par des améliorations artificielles.

Il distingue:

  1. Amélioration restaurative (légitime): ex. chirurgie oculaire de Tiger Woods.  
  2. Amélioration optimisatrice (illégitime): elle supplante le talent inné.

Oscar Pistorius: ses prothèses bioniques sont légitimes si elles permettent d’exprimer un talent naturel (sous conditions). 

Conclusion: le dopage génétique défigure la dignité et la finalité intrinsèque du sport.

  • Robert L. Simon

À travers une éthique internaliste de la compétition, il dénonce le dopage (y compris génétique) comme une auto-illusion morale: croire que la victoire dépend de substances externes plutôt que de l’effort. L’excellence sportive doit naître de la disposition naturelle et de l’entraînement discipliné. Les drogues n’offrent que des avantages marginaux contre des risques graves. Le dopage réduit l’athlète à un organisme fonctionnel au service du spectacle.

Implications éthiques et philosophiques

  • Dignité de l’athlète

L’athlète ne peut être réduit à un moyen économique ou à une démonstration technologique – autant dire qu'il y a belle lurette que cette diginité n'existe plus guère... 

  • Justice et équité

Le dopage génétique creuse des inégalités abyssales et brise le «level playing field» («terrain de jeu équitable»).

  • Neuroéthique sociale

Le sport est un laboratoire culturel. Accepter le dopage génétique transformerait la perception de l’effort, du mérite et de l’identité humaine.

  • Risque de marchandisation

Le sport pourrait se dégrader en spectacle biotechnologique, perdant définitivement sa dimension éducative, sociale et morale déjà considérablement mis à mal.

 Conclusions

Le choc entre transhumanistes (Savulescu, Tamburrini) et bioconservateurs (Sandel, Simon) révèle des visions antagonistes de l’avenir du sport et de l’humanité:

  1. Les premiers misent sur la liberté technologique, assimilant le dopage génétique à des choix personnels (entraînement, santé).  
  2. Les seconds dénoncent une corruption de l’essence sportive, une dégradation de la dignité et une érosion des valeurs de justice, mérite et don.

En philosophie du sport et éthique du dopage, on conclut que:

  1. Le dopage génétique n’équivaut pas à des traitements restauratifs.  
  2. La neuroéthique sociale doit anticiper les impacts du dopage génétique via une régulation interdisciplinaire.  
  3. Le défi est culturel: il implique une redéfinition de l’excellence sportive, l’humanité et la justice.

Sources



Après plus de vingt ans passés dans l'organisation du Festival international d'échecs de Bienne (Suisse), Paul Kohler en est maintenant le secrétaire général et le directeur du tournoi fermé des Grands Maîtres (GMT). Depuis septembre 2016, vous pouviez lire ses posts quotidiens et ses tweets pour ChessBase dans la langue de Molière. Dorénavant, c'est sur le portail francophone que vous pouvez lire ses articles.
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