"Les Femmes au pouvoir!" - une recension

Dissoudre l'obstruction, dégager colonne-f et attaquer!

Ces dernières années ont vu un intérêt croissant pour les échecs, notamment grâce à la série Netflix "Le Gambit Dame" (The Queen's Gambit), ainsi qu'un développement accéléré du microcosme qui aiment à se mesurer sur 64 cases, particulièrement avec le Meltwater Chess Tour, série de tournois rapides en ligne initiée par Magnus Carlsen himself. D'autres événements ont également fait la une des journaux non spécialisés - nous pensons par exemple à l'entrée en bourse de la société Play Magnus Group, dont le champion du monde est la figure de proue. Pour sa part, le MI Martin Breutigam vient de publier, après Himmlische Züge ("Coups célestes" - 2014) et Genies in Schwarzweiß ("Génies en noir et blanc" - 2016), Damen an die Macht ("Les Dames au pouvoir") où sont regroupées ses chroniques écrites entre 2014 et 2021 pour différents journaux.

Partie d'échecs végane.

Les chroniques sélectionnées sont agrémentées de diagrammes montrant une position explosive avant la dernière attaque décisive, de brefs biographies et d'anecdotes historiques. Ainsi, lorsque l'auteur rappelle la dramatique défaite de Ding Liren contre Magnus Carlsen lors du Champions Showdown (le Chinois avait perdu 16 des 30 blitz contre le champion du monde, ne remportant que deux parties), il n'oublie pas de souligner que le n°1 de l'Empire du Milieu s'était remis de la plus belle des manières, en délivrant, contre le jeune GM Bai Jinshi, une "partie immortelle", que Breutigam place aux côtés des parties Anderssen-Kieseritzky (Londres 1851), Rotlewi-Rubinstein (Lodz 1907) et Kasparov-Topalov (Wijk aan Zee 1999). Martin dissèque pas à pas, diagrammes à l'appui, l'étonnante combinaison gagnante de Ding.

Le MI allemand jette un regard rétrospectif et éclairant sur des documents d'archives éclairants. On apprend par exemple que Stefan Zweig, pour sa nouvelle Le Joueur d'Échecs s'est inspiré du livre de Tartakover, La Partie d'Échecs hypermoderne, et tout particulièrement de la partie de ce dernier contre Alekhine. Celui qui représenta la France aux Olympiades de 1950 dira, au terme de cette partie qui s'est terminée par une finale de tours raffinée, que le "jeu cristallin" de son adversaire, qui l'a précédé dans l'obtention de la nationalité française, lui aura permis de gagner cette partie qualifiée d'"hypermoderne".

Se penchant sur des aspects plus actuels du monde des échecs, notre chroniqueur présente de manière tout aussi passionnante, des étoiles montantes telles que Vincent Keymer. On voit d'abord comment le jeune prodige allemand a remporté une partie dans le championnat individuel d'Allemagne lorsqu'il n'avait que dix ans, puis les étapes de son accession dans le top 100 mondial, suite à l'excellente performante réalisée à Riga en novembre dernier, à l'âge de seize ans, lors du Grand Swiss de la FIDE.

Breutigam pimente son fascinant pot-pourri échiquéen de digressions influencées par des événements historiques. Il expose la combinaison "étonnamment habile" qui permit à Karl Marx de battre un certain Meyer, en 1867, à l'occasion d'une fête organisée à Berlin pour le maître d'échecs Gustav Neumann. La vente aux enchères à Francfort de la première édition du "Capital" pour €200'000 est à l'origine de cette référence à Marx. Toujours dans la section historique, il mentionne  l'étude de l'historien de l'Antiquité et MI Christian Mann parue dans Schach - die Welt auf 64 Feldern ("Les échecs - Le monde sur 64 cases"), livre qui rend hommage aux échecs en tant que "jeu le plus important de l'histoire de l'humanité" au cours des derniers 1'500 ans.

Mais alors, où sont donc les femmes qui aspirent au pouvoir et qui font le titre de ce recueil?  Breutigam rappelle que Judit Polgar avait critiqué il y a quelques années le fait que les femmes soient trop souvent contraintes à jouer entre elles. La championne hongroise préférait de loin affronter un Kasparov et d'autres joueurs du même calibre. Ces circonstances ont d'ailleurs poussé la championne du monde féminine Hou Yifan, 26 ans, professeur à Shenzen, à quitter le cycle des championnats du monde féminins. Entre-temps, une autre Chinoise est devenue championne du monde: Ju Wenjun, originaire de Shanghai. L'évolution de la ministre lettone des Finances Dana Reizniece-Ozola mérite également une chronique du MI allemand. Cette mère de famille de quatre enfants remporta à seize ans le championnat féminin letton. Elle se fit également remarquer en séchant en 2016 une réunion des ministres des Finances de l'UE pour participer aux Jeux olympiques d'échecs de Bakou où, au premier échiquier de la Lettonie, elle remportait une victoire mémorable contre Hou Yifan. Depuis l'accession d'Arkady Dvorkovich à la présidence de la FIDE, Dana Reizniece-Ozola en est l'intrépide directrice générale! Au sujet des compétitions féminines, Breutigam rappelle qu'en 2016 Mariya Muzychuk était parvenue à rendre secrètes ses parties. Pour se préparer contre la challenger, Hou Yifan ne pouvait en effet trouver dans les bases de données aucune des parties de l'Ukrainienne!

Breutigam donne également des indications sur la production, les lieux de tournage et sur une partie d'entraînement étudiée avant le duel de la coupe du monde qui est jouée dans le film Gambit Dame, mini-série Netflix regardé par 62 millions de spectateurs rien que durant le premier mois! Anya Taylor-Joy a été récompensée, pour le rôle de Beth Harmon, par un Golden Globe. L'auteur n'oublie pas de mentionner la source qui a inspiré le film - un roman extrêmement réussi de Walter Tevis où sont dépoussiérées avec précision et ironie critique les comportements typiques des années 50 et 60 aux États-Unis.

Pas de doute, Martin Breutigam présente ici un ouvrage fabuleux et fascinant, parsemé de brefs portraits éclairants, de combinaisons croustillantes et de digressions historiques surprenantes!

Marin Breutigam: Damen an die Macht - "Les Femmes au pouvoir".
Énigmes et histoires du monde des échecs, 192 p.,
Verlag die Werkstatt Bielefeld 2022 - disponible également chez Schach Niggemann.