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Dana Reizniece-Ozola... j'avais entendu ce nom en 2016, lorsqu'elle avait battu Hou Yifan. à Bakou lors des Olympiades. J'ai appris alors qu'elle était la ministre des Finances de la Lettonie. Une femme d'une telle envergure et pourtant capable de battre la joueuse la plus forte de la planète, c'était vraiment stupéfiant. Mais le temps a passé et j'ai oublié ce nom. Jusqu'au début de cette année, lorsque Dana est devenue directrice générale de la FIDE. Cela s'est passé le 04 janvier 2021. Lorsque j'ai appris que Dana était présente au championnat du monde 2021 à Dubaï, j'ai eu très envie de parler avec cette politicienne de haut vol et WGM avec un Elo actuel de 2283. Comment quelqu'un peut-il accomplir autant de choses en seulement 40 ans? Pourquoi Dana a-t-elle rejoint la FIDE? Quels changements souhaitent-elles apporter dans les échecs au niveau mondial, et comment va-t-elle procéder? Quelles sont les mesures qu'elle a déjà pu prendre depuis les onze mois qu'elle est déjà en poste? J'avais de nombreuses questions en tête.
Dana Reizniece-Ozola, l'actuelle directrice générale de la FIDE.
J'ai vu Dana le premier jour du championnat du monde à Dubaï. La première chose qui m'a frappé, c'est l'énergie et l'enthousiasme avec lesquels elle accueillait les gens. En tant que directrice générale de la FIDE et présente au championnat du monde, elle devrait être surchargée de travail, non? Elle devrait être tendue, elle devrait se précipiter partout, elle devrait diriger les gens sur ce qui doit être fait. Mais elle était là, souriante, rencontrant les invités avec chaleur et en riant. Je suis sûr qu'elle avait les mains pleines de tâches à accomplir, mais elle ne l'a jamais laissé paraître. Quelques jours plus tard, je l'ai contactée pour une interview. Elle a immédiatement accepté de le faire - "Le 30 novembre à 15 heures, ça vous va?" Le 30 novembre, je suis donc arrivé une heure et demie avant le début de la quatrième partie du match. Dana était également là, juste à l'heure et nous nous sommes assis pour parler échecs, de sa vie, de son travail à la FIDE et plus encore.
Nous avons commencé l'interview avec trois parties spectaculaires de Dana.
Sagar Shah (SS): Dana, vous avez tant de réalisations à votre actif. Vous avez été ministre de l'économie et des finances de la Lettonie. Vous avez également travaillé en tant que présidente de plusieurs commissions dans votre pays. En même temps, vous êtes aussi une très bonne joueuse d'échecs - une WGM ! Je veux comprendre comment vous avez réalisé tout cela. Mais d'abord, je veux voir quelques-unes de vos meilleures parties! J'ai vu que vous avez été capable de battre de nombreux joueurs forts, tels que Hou Yifan, Van Wely, Hort, Huebner, entre autres.
Dana Reizniece-Ozola (DRO): C'est parce que j'ai suivi dès mon enfance une puissante école. J'ai beaucoup travaillé les échecs. Quand j'étais enfant, j'allais à mes cours d'échecs six jours par semaine, travaillant environ cinq heures par jour. J'aimais beaucoup ça, donc la base a toujours été là. C'est juste que j'ai eu beaucoup d'autres choses dans ma vie. Mais quand j'ai du temps, j'ai un grand appétit pour les échecs et cela se reflète également sur l'échiquier.
SS: C'est bon à savoir. Je voudrais commencer par votre victoire la plus célèbre, celle contre Hou Yifan. Quels souvenirs ce match évoque-t-il dans votre esprit?
DRO: D'une certaine manière, j'avais le sentiment que j'allais gagner la partie avant même qu'elle ne commence. Parfois, vous avez ce sentiment dans les tripes quand vous allez à l'échiquier pour commencer la partie.
SS: Même lorsque vous faites face à quelqu'un qui est 400 points plus fort que vous?
DRO: Parfois, vous avez le sentiment, même lorsque vous jouez contre quelqu'un de plus faible que vous, que ce ne sera pas votre jour! Que vous allez perdre même si vous faites des efforts. Je ne sais pas, je ne suis probablement pas la seule à avoir ce sentiment avant les matches. En tout cas, ce jour-là, je me suis réveillé et j'étais si sûre de moi que j'ai vraiment senti que "ce sera mon jour". C'est la raison pour laquelle j'ai également revêtu l'uniforme national letton.
C'était la Lettonie contre la Chine aux Olympiades de Bakou (Azerbaïdjan). Bien que Dana ait réussi à battre Hou Yifan, la Lettonie a perdu contre la Chine sur le score de 1½–2½. | Photo: Paul Truong.
SS: En analysant les parties que vous avez joué, j'ai compris que l'attaque vous vient très naturellement!
DRO: Les échecs dynamiques sont mon style. Je n'ai pas peur de sacrifier des pions ou des pièces. Je viens de Riga. La patrie du magicien Mikhail Tal. Je ne dirai pas que je ressemble à Tal mais le dynamisme est quelque chose qui est dans mon sang. Je préfère les positions compliquées. Plus c'est compliqué, plus je me sens à l'aise. C'est la même chose dans la vie réelle, en politique et dans d'autres domaines. Plus il y a de stress, plus il y a de tension d'une manière ou d'une autre, plus je suis orienté. Si c'est trop commun, je m'ennuie!
SS: La deuxième partie que je voulais discuter avec vous est votre victoire contre Van Wely, je crois que c'était dans un tournoi rapide. Quand cela s'est-il passé?
DRO: C'était en Estonie, lors d'un beau tournoi qui est organisé chaque année. C'est dommage que je n'aie pas pu y assister cette année parce que je suis ici à Dubaï.
Dana a joué un coup très surprenant dans cette position. Trait aux Noirs: comment procèderiez-vous?
SS: Mais qui vous a enseigné à jouer ce type d'échecs agressifs. Avez-vous eu un entraîneur qui vous a inculqué cela?
DRO: Cela ne provient pas de l'entraîneur, mais du caractère. Je crois vraiment qu'on peut connaître la personnalité et les traits de caractères d'un individu sur un échiquier. Donc, je suis ce genre de personne.
SS: Comment ce caractère s'est-il forgé en vous?
DRO: C'est inné, je suppose. On ne peut pas choisir son caractère. Vous pouvez trouver quelque chose, essayer de combattre certaines de vos mauvaises habitudes mais il y a des choses que la nature, Dieu ou quel que soit le nom que vous lui donnez, vous offre. Mais oui, j'ai travaillé avec le GM Zigurds Lanka, qui aime ce dicton: "Vous devez jouer "das dynamische Schach" [les Échecs dynamiques]" parce qu'il travaille avec beaucoup de joueurs d'échecs allemands. Nous avons toujours une blague: chaque fois que vous sacrifiez quelque chose, nous disons "Dynamisches Schach!". [Rires]. Surtout pour les dames, je pense que c'est une chose intelligente à faire - leur apprendre à être un peu plus agressives. Il ne faut pas oublier que le Roi est la pièce la plus importante de l'échiquier. Je ne recommande pas de jouer aux échecs kamikazes, mais ne pas avoir peur de sacrifier du matériel pour l'initiative et le développement des pièces est une bonne qualité à avoir. Je pense aussi que le choix d'ouverture et de répertoire influencent votre style. L'Est-Indienne me convient très bien.
Quand on attaque aussi violemment que Dana, il faut bien se concentrer !
SS: Dana, les échecs étaient en fait quelque chose qui vous tenait à cœur, mais vous avez dû faire un choix très difficile, à un moment donné. Comment avez-vous pris la décision d'arrêter de jouer aux échecs en tant que professionnelle?
DRO: C'était après avoir terminé mon lycée et avant d'entrer à l'université. Je réfléchissais à ce que je devais faire dans ma vie et si je devais me lancer dans les échecs professionnels ou non. À cette époque, j'étais déjà devenu deux fois championne d'Europe U18. C'est déjà un indicateur assez remarquable. J'étais également la n°2 mondiale dans ma catégorie d'âge. À cette époque, j'ai compris deux choses: la première, c'est que je n'aurais pas les ressources financières nécessaires pour progresser dans le jeu, car dans mon pays, le système est construit de telle sorte que lorsque vous êtes à l'école, vous bénéficiez d'un soutien important de l'État, mais après, vous devez vous débrouiller seul. Je n'avais pas une famille assez riche pour me soutenir, et, à l'époque, il n'y avait pas beaucoup d'opportunités de sponsoring. Or en tant que joueuse d'échecs professionnelle, vous devez engager des entraîneurs et parcourir le monde pour jouer des grands tournois. C'était l'une des raisons. L'autre raison est que j'ai commencé à comprendre que je m'intéressais à bien d'autres choses que les échecs dans ma vie. Je sais que Caïssa, la déesse des échecs, est une femme très jalouse. Si tu ne te consacres pas à 100% à elle, elle te pénalisera. Donc, j'ai décidé de la garder comme une bonne amie et de ne pas en faire mon patron! Les échecs ont toujours fait partie de ma vie, même si j'étais parfois occupée à d'autres choses; ceendant je n'en ai pas fait ma profession.
SS: J'ai vu que vous avez également joué à l'Open Rapide de Riga qui s'est déroulé très récemment.
DRO: Oui, j'aime jouer aux échecs et je saisis l'occasion de participer à un tournoi aussi souvent que possible. Je joue même pour un club allemand et ce, depuis 2011, qui me permettent de jouer là-bas quelques parties durant l'année, comme une sorte de méditation durant ces moments où je ne suis pas avec mes enfants et ma famille, ni au travail et ses obligations!
SS: Vous aimez beaucoup le fait de faire partie de cette "communauté échiquéenne".
DRO: En faire partie a toujours été très précieux pour moi, car les joueurs d'échecs en général, je le crois vraiment, sont des gens très gentils. Nous avons tous des particularités et des caractères spécifiques, mais si nous considérons la microsociété échiquéenne en général, nous voyons-là des gens vraiment sympathiques, et la capacité à travailler durement nous vient naturellement. Afin de réussir, vous devez investir beaucoup de temps, d'énergie, d'efforts, de sueur et vous êtes unis pour une cause commune - les échecs. C'est comme une colle forte qui nous maintient tous ensemble.
Dana au Grand Tour d'échecs de Paris, avec certains des plus grands joueurs d'échecs de notre époque.
SS: Lorsque vous jouez aux échecs, vous voulez toujours gagner la partie. Lorsque vous êtes dans la politique ou le travail lié à la FIDE, il s'agit davantage de collaborer. Est-il difficile de passer de l'un à l'autre?
DRO: Avec les années d'expérience, vous comprenez que c'est en collaborant que vous pouvez arriver au résultat positif, et que vous atteignez vos objectifs beaucoup plus rapidement et de manière plus durable, car la vie n'est pas un sprint, c'est un marathon et construire des relations, des réseaux, jouer franc-jeu est toujours payant. Ceci étant dit, tout comme sur l'échiquier, je suis très compétitive dans la vie réelle.
SS: Vous ne donnez pourtant pas cette impression! - Vous qui êtes toujours souriante et très amicale.
DRO: Le sourire est l'arme la plus puissante! [rire] L'arme la plus forte pour réussir dans votre vie. Sois gentil et la vie te répondra. Je crois vraiment que ce que vous donnez au monde, vous le recevez en retour. À court terme, vous pouvez réussir en jouant les durs. Mais c'est toujours à très court terme.
Le sourire dont nous parlons! Remarquez, c'était avant la réunion de l'Eurogroupe où des sujets sérieux sur l'avenir des mécanismes européens de stabilité devaient être discutés.
SS: Après vos deux titres de championne d'Europe, vous êtes venu en Inde en 2000 pour participer à la Coupe du Monde. Vous aviez 19 ans et vous aviez clairement de l'ambition dans les échecs. Puis vous avez pris la décision d'arrêter de poursuivre ce sport professionnellement. Mais comment êtes-vous entré en politique? J'ai également lu qu'entre-temps, vous avez également obtenu un master en technologie spatiale et que vous avez lancé des programmes spatiaux. Comment avez-vous fait tout cela - des échecs aux programmes spatiaux et à la politique - et maintenant directrice générale de la FIDE?
DRO: Les échecs sont un jeu complexe et la vie n'est pas plus facile. Il faut donc être fort dans différents domaines. J'ai une blague qui dit que si vous venez d'un petit pays, vous avez l'obligation d'utiliser tous les talents que Dieu vous a donnés, car il n'y a pas d'autre moyen pour le pays de se développer. [rire] Si ce n'est pas par le nombre ou la quantité, alors par la politique! Cela peut être vrai pour d'autres sports également, mais pour les échecs, cet entraînement régulier et le fait de se forcer à en faire un peu plus que ce que l'on est, initialement, prêt à faire, et cela depuis la petite enfance, vous donnent de fortes capacités qui sont très utiles dans tous les domaines de votre vie - quel que soit votre choix. Dans mon cas, c'était la technologie spatiale et le travail avec de jeunes entreprises dans un parc de haute technologie.
Avant d'entrer en politique, j'étais directrice du parc de haute technologie de Ventspils, où je développais le concept de triple hélice, en essayant d'organiser un système où les entreprises, la municipalité et l'université travaillent ensemble. Et nous avons obtenu de très bons résultats. Je faisais donc le travail de mes rêves, mais en même temps, j'ai toujours été socialement active au niveau local, puis au niveau municipal. À ce moment-là, le chef de notre parti politique, dont j'étais membre mais non engagée, m'a simplement demandé la permission de m'inscrire sur la liste électorale, J'ai accepté, sans vraiment penser que je pourrais être élue. Et devinez quoi, j'ai été élue! C'est alors que tout mon monde a basculé et que ma vie entière a été bouleversée. J'ai dû quitter mon emploi que j'aimais beaucoup, j'ai dû quitter mon lieu de vie et déménager dans la capitale et, au début, je ne comprenais pas ce qui se passait. Pourquoi la vie me donne-t-elle cette direction? Mais une chose que j'ai apprise dans ma vie, c'est que la planification à long terme ne fonctionne pas. Je poursuis un autre modèle - je fais le maximum à l'endroit et au moment où je me trouve et, d'une manière ou d'une autre, les opportunités s'ouvrent. Les portes s'ouvrent pour vous et il est important que vous les voyiez et que vous disiez oui. C'est donc le chemin que j'ai suivi, du parc technologique au soutien aux entreprises, puis à la politique et, depuis le début 2021, au monde des échecs!
Dana a passé 1077 jours en tant que ministre des finances de la Lettonie!
SS: Avez-vous eu l'impression d'avoir commencé quelque chose où vous deveniez qualifiée, et que, soudain, vous deviez passer à autre chose?
DRO: Ce n'est pas vraiment autre chose. En tout cas, il s'agit de management. Au fil du temps, j'ai développé mes capacités de gestion, ce qui est en fait ma profession. En fin de compte, peu importe qu'il s'agisse de politique, d'affaires ou simplement de gestion. C'est comme jouer aux échecs. Je veux dire que l'ouverture que vous jouez n'a pas d'importance. Tant que vous connaissez les règles et que vous suivez les principes, vous allez bien jouer!
SS: Donc, vous n'êtes pas de cet état d'esprit qui veut qu'une fois que vous avez choisi une ouverture, vous la poursuivez pour le reste de votre vie?
DRO: Je fais cela aux échecs, parce que je suis trop paresseuse et que je n'ai pas le temps d'apprendre de nouvelles ouvertures, mais pas dans la vie réelle! [rire] Dans la vie, vous devez vous améliorer tout le temps et il est important d'avoir une variété d'armes dans votre poche!
SS: Lorsque vous avez commencé à travailler pour le FIDE, avez-vous eu l'impression de passer de quelque chose de grand à quelque chose de plus petit, en passant de ministre des finances de la Lettonie à directrice générale de la FIDE?
DRO: Non, au contraire. Je vois cela comme une nouvelle étape dans ma vie, car la FIDE est la fédération internationale des échecs qui travaille pour le monde entier! Pour 196 fédérations et pour le bénéfice de la société entière. Je me sens vraiment honorée et je ressens vraiment le sentiment d'une mission dans ma position. C'est aussi quelque chose que j'ai appris en politique: être un politicien est une situation très instable. Vous disposez d'un temps et d'un mandat limités, mais cela signifie que pendant le temps qui vous est imparti, vous devez utiliser votre mandat pour obtenir des résultats concrets, pour faire la différence. Et c'est quelque chose que je ressens également pour la FIDE. Je ne sais pas combien de temps je passerai ici, mais je me sens privilégiée d'avoir à remplir ce mandat à un poste de direction de très haut niveau.
En 2017, Dana a reçu le prix du ministre des Finances de l'année en Europe, décerné par Banker. Avec un ratio dette/produit intérieur brut (PIB) de seulement 36 %, la Lettonie avait cette année-là l'une des dettes les plus faibles de l'UE, et le budget était presque équilibré. Un exploit incroyable réalisé par Dana et son équipe.
SS: Comment êtes-vous devenu directrice générale de la FIDE? Comment cela s'est-il produit?
DRO: C'était la proposition de M. le Président Arkadij Dvorkovich qui m'a approché (très probablement) pour renforcer les capacités administratives de la FIDE et améliorer nos capacités à travailler avec les fédérations parce qu'il y a très peu de personnes qui travaillent activement sur une base quotidienne. La quantité de travail au sein de la FIDE est énorme et chacun de mes collègues, y compris M. le Président lui-même, fait un travail extraordinaire en y consacrant beaucoup de temps. Le sommeil n'est la priorité d'aucun d'entre nous. La bonne chose, c'est que nous aimons tellement les échecs que cela nous donne de l'énergie. C'est comme recharger nos batteries!
Un bon dirigeant essaie toujours d'intégrer des personnes de plus en plus compétentes dans son équipe. C'est exactement ce que le président de la FIDE, Arkady Dvorkovich, a fait en intégrant Dana Reizniece-Ozola dans l'équipe de la FIDE et en la nommant directrice générale.
La chose que j'ai explorée à la FIDE, et qui est vraiment très importante pour moi, est d'utiliser les échecs au profit de la société en mettant en œuvre diverses initiatives sociales. La FIDE s'est toujours concentrée sur les échecs en tant que sport professionnel, mais je pense que nous pouvons vraiment élargir la base de clients et susciter l'intérêt du grand public en utilisant les échecs dans d'autres segments. L'innovation apparaît à la lisière des domaines et des secteurs. Je crois que le même principe fonctionne aussi aux échecs! C'est la raison pour laquelle nous avons lancé cette année plusieurs initiatives passionnantes qui ont déjà fait leurs preuves. L'une d'entre elles est le jeu d'échecs dans les prisons.
La FIDE a organisé le championnat intercontinental d'échecs en ligne 2021 pour les prisonniers, dans le cadre du programme "Chess for Freedom".
SS: Ah oui! C'était une de vos idées?
DRO: Bien qu'il ne s'agisse pas d'un de mes concepts, j'ai repris cette idée et je l'ai vraiment concrétisée. L'initiative n'est pas nouvelle, elle a été imaginée par Mikhail Korenman. Anatoly Karpov a été un défenseur et un ambassadeur de longue date de ce concept. Cependant, la FIDE ne faisait pas la promotion de ce projet dans le passé. En voyant comment cela change la vie des gens à un niveau individuel et en voyant l'énergie positive que ce projet donne, c'est vraiment une grande chose.
Les échecs pour les réfugiés sont une nouvelle idée. Nous mettons actuellement en œuvre un programme de formation au Kenya. Nous formons 1600 jeunes, ainsi que les instructeurs et mettons en œuvre des programmes de développement des compétences de vie pour les filles dans les internats. La chose la plus importante ici est de donner aux jeunes enfants un sentiment d'appartenance en utilisant les échecs. Pour les personnes déplacées, il est si important d'acquérir ce sentiment d'appartenance à une famille, vous savez. Cela donne de la sécurité et de la confiance en soi. J'espère que cela les rendra plus forts dans leur vie, afin qu'ils ne deviennent pas une pièce dans les mains de quelqu'un d'autre, mais les maîtres de leur propre vie. J'espère que ces initiatives inspireront la société et peut-être aussi, à un moment donné, les sponsors. Il y a quelque chose de très important que nous n'avons pas fait dans le passé: approcher les entreprises pour la CRSR. Nous devons créer nos produits, nos projets, nos suggestions et d'autres canaux qui soutiendront la FIDE et les échecs.
C'est la beauté des échecs. C'est pour les gens de tous âges! Les échecs sont pour tout le monde!
SS: Donc, diriez-vous que vous voulez mettre en œuvre des projets sociaux au moyen du jeu d'échecs, pour qu'ensuite les sponsors, ayant réalisé la valeur potentielle, fasse affluer l'argent dans le jeu?
DRO: Exactemement! Certains des projets sociaux qui peuvent être très puissants sont échecs & éducation, échecs pour les femmes ou encore échecs pour les personnes handicapées. L'année dernière, pendant les restrictions du Covid, notre Olympiade en ligne pour les personnes handicapées a été une histoire révélatrice. Ce fut sans doute certainement le plus grand événement sportif auquel les handicapés ont pu participer en ces temps troublés. C'est la démonstration que la FIDE peut créer des histoires étonnantes en utilisant les échecs. À notre époque, les gouvernements ne financent pas les sports ou les activités pour des raisons géopolitiques, parfois ils le font, mais ce n'est plus comme dans les années 60 où, pendant la guerre froide, le sport était utilisé comme une arme pour montrer sa suprématie. Nous devons créer des émotions. Nous devons offrir des expériences. Les gens paient pour cela. Donc, les échecs doivent offrir une expérience aux gens et je crois que ce genre d'initiative, qui montre comment les échecs peuvent être transformés, a le pouvoir d'offrir des expériences inoubliables. Et cela motivera les gens à investir, si ce n'est de l'argent, au moins du temps et de l'énergie.
Le projet "Échecs à l'école" peut donner une grande autonomie aux jeunes enfants. Dana interagit avec les enfants de l'Escola Jaume Balmes à El Prat de Llobregat.
SS: Tout cela est très différent de la façon dont les gens ont pensé à la manière de rendre les échecs populaires jusqu'à présent! La pensée principale a toujours tourné autour de la manière de faire des échecs un sport attirant des spectateurs, avec l'idée que s'il y en a beaucoup, alors l'argent des sponsors arrivera!
DRO: Les gens doivent apprécier ce sport, mais rendre les échecs plus attrayants pour les spectateurs n'est pas la seule solution. Si cette perspective demeure importante au point que c'est principalement la seule approche qui a été adoptée jusqu'ici, pourquoi ne pas élargir et diversifier nos activités?
SS: Je crois fermement en ce concept "d'échecs comme outil social". Il y a des histoires étonnantes sur la façon dont les échecs ont été utilisés en Inde dans des endroits comme le village de Marottichal ou la région du Punjab pour combattre les vices sociaux. Pour continuer, je voudrais aborder un autre sujet. Vous venez d'un pays où la moitié des postes de direction au sein du gouvernement sont occupés par des femmes. Cependant, la FIDE a toujours été une organisation dominée par les hommes. Avez-vous été en mesure de travailler efficacement? Quelle a été votre expérience?
DRO: Le président Arkadij Dvorkovich a fait la différence. Je pense que le fait que je sois une femme est l'une des raisons pour lesquelles on m'a proposé ce poste (directeur général de la FIDE), même si ce n'est pas la seule raison, bien sûr. Nos collègues des conseils et de la direction sont très sérieux quant à l'augmentation de la représentation des femmes aux postes de direction. En ce qui concerne les élections de l'année prochaine, c'est également l'une des conditions préalables prévues dans le règlement électoral. Il doit y avoir une représentation minimale des femmes. Je suis très heureuse que l'état d'esprit soit en train de changer dans ce sens. La diversité des sexes est un avantage et ma grande expérience de la politique m'a appris que les débats, les discussions et parfois même les querelles sur certaines questions entre représentants de sexes différents conduisent souvent à de meilleures décisions. Parce que vous êtes obligés de réfléchir à nouveau à certains aspects. Et vous voyez, certains points que vous n'auriez jamais été capable de voir autrement. Cela existe même aux échecs! Je ne sais pas si vous connaissez l'astuce que la plupart des joueurs d'échecs utilisent. Parfois, vous êtes bloqué dans votre position. Vous ne trouvez pas le coup à jouer. Alors, vous vous levez, vous allez de l'autre côté de l'échiquier et vous regardez la même position du point de vue de l'adversaire. Et là, vous voyez votre opportunité. C'est la même chose pour la relation entre les hommes et les femmes.
La présence de plus de femmes à des postes de direction au sein de la FIDE est un grand changement que l'on peut constater dans l'organisation.
SS: On dit que les échecs imitent la vie. On peut dire que vous utilisez beaucoup ce jeu pour imager des situations de la vie réelle! On voit à quelle point votre pensée a été influencée par les échecs!
DRO: Les échecs m'ont en effet donné tant d'astuces et d'approches stratégiques des choses! Et c'est aussi la raison profonde pour laquelle je promeus l'idée des échecs dans les écoles. Je sais que même si 90% de ces enfants ne deviendront jamais des joueurs d'échecs professionnels ou qu'un seul d'entre eux deviendra champion du monde d'échecs, avoir pratiquer le jeu d'échecs dans leur vie les aidera à devenir de meilleures personnes, de meilleurs membres de la société et à apprendre des choses qui sont vitales pour la vie quotidienne.
SS: Quelle est votre vision de la FIDE pour l'avenir?
DRO: Je voudrais que les échecs sortent du cercle restreint des joueurs. Cela peut se faire par la mise en œuvre de projets et par des personnalités attrayants. Je ne sais pas exactement comment m'y prendre. Je n'ai pas de vision ou de plan précis à ce sujet, mais je suis très désireuse que cela se produise. Les personnes qui ne font pas partie du monde des échecs devraient savoir ce qui s'y passe - que le championnat du monde d'échecs a lieu, qui sont les leaders du monde des échecs et pour cela vous avez vraiment besoin que les meilleurs s'ouvrent au monde et fassent beaucoup plus que d'être simplement des joueurs d'échecs professionnels faisant leur travail sur les 64 cases. Je pense aussi que mon expérience dans le monde non-échiquéen m'aide à apporter les échecs en dehors du monde échiquéen. Et cela doit être mis à profit.
SS: Vous êtes une mère de quatre enfants, une épouse, alors même que vous êtes constamment en train de travailler sur un projet après l'autre, de rencontrer des gens, de discuter avec eux, de relever des défis. Comment est-il possible de gérer autant de choses? Déléguez-vous une grande partie du travail que vous faites? Quelle est la technique utilisée?
DRO: La délégation est toujours un problème pour moi. Je ne l'ai pas encore bien apprise [Rires]. Je fais beaucoup de choses par moi-même. Je pense que je peux faire une grande partie de ce que je fais parce que je fais des choses que j'aime et que j'ai le soutien de ma famille, qui est la source d'énergie de ma vie. Ma famille est mon point de référence. Vous pouvez faire tourner le monde, mais ce point de référence unique reste avec vous. Chacun doit créer ce point de référence pour lui-même et il peut être totalement différent selon les personnes. Par exemple, pour moi, c'est la famille, pour vous, cela peut être votre travail, votre passion ou votre pays. Quoi qu'il en soit, c'est à vous de le découvrir!
La famille de Dana a été sa plus grande force - le point central de sa vie qui lui donne l'énergie de faire ce qu'elle fait!
SS: Comment cela fonctionne-t-il? Ce point focal, comment le découvrir?
DRO: Il vous donne de l'énergie. Il ne la consomme pas. Il vous donne de l'énergie supplémentaire, beaucoup plus que ce que vous devez dépenser pour lui; ainsi vous pouvez utiliser le surplus pour d'autres choses. Une chose que vous devriez toujours garder à l'esprit est d'apporter un équilibre dans votre vie. Vous pouvez continuer à donner au monde, mais de temps en temps, vous devez recharger vos batteries. J'ai connu une période de ma vie où je travaillais tellement - non pas que je travaille moins, mais je travaille plus intelligemment - que j'ai oublié qu'il existe des livres qu'il est important de lire! Les livres vous aident à être plus instruit, à être plus intelligent sur le plan émotionnel, à être plus agréable avec les autres. Pour qu'à la fin, vous ayez aussi quelque chose à donner aux autres. Vous devez vous nourrir de connaissances, de compétences, d'émotions, d'amour et ensuite vous pouvez le répandre comme un petit soleil!
SS: Vous avez dit que vous avez commencé à travailler plus intelligemment. Qu'est-ce que que cela signifie concrètement?
DRO: Je ne remets pas les choses à plus tard. Je pense que c'est un problème pour beaucoup d'entre nous. S'il y a des choses désagréables, vous essayez de les faire passer au second plan, ce qui vous crée un stress supplémentaire et vous empêche d'accomplir les tâches les plus simples. Donc, l'astuce est que je fais face aux choses les plus désagréables et j'essaie de les faire en premier et ça marche. Non pas que je réussisse toujours, mais c'est l'une des astuces que j'essaie. J'affronte les choses désagréables et à midi, vous êtes déjà heureux parce que vous avez coupé l'éléphant en morceaux et l'avez mangé (rires). Il faut commencer. Faire le premier pas est toujours le plus difficile.
Le premier pas est souvent le plus difficile à faire!
SS: Quels sont les livres qui vous ont inspiré?
DRO: Je ne peux pas recommander de livres à lire sur le thème de l'amélioration personnelle - à part la Bible, peut-être. En tout cas pas le rayon "développement personnelle" des librairies! Ces livres sont parfois même trompeurs. Par exemple, beaucoup d'entre eux vous enseignent que si vous n'aimez pas votre travail, vous n'avez qu'à démissionner et faire ce que vous voulez et suivre vos rêves. Je dirais que c'est très dangereux, surtout pour les jeunes esprits. Vous poussez les gens au bord de la falaise. Mon truc, c'est que si vous n'aimez pas votre travail ou si vous n'êtes pas sûr, essayez d'en savoir plus et vous y prendrez goût. Plus vous comprendrez ce qui se passe et plus vous commencerez à connaître les choses, je suis presque sûr que vous l'aimerez davantage et qu'à un moment donné, vous l'adorerez. Cela ne fonctionne pas toujours et si vous êtes totalement au mauvais endroit, il est préférable de partir. Mais seul votre cœur peut vous le dire et, probablement, votre mère et votre meilleur ami - mais certainement pas les autres! Parce que les autres pourraient être jaloux de vous et vous suggérer de partir.
SS: Une dernieère question: après la FIDE, qu'avez-vous en tête? Y a-t-il quelque chose d'autre de particulier que vous aimeriez faire?
DRO: Les portes s'ouvriront d'elles-mêmes. La bonne direction viendra si je suis performante ici à la FIDE. Pour l'instant, j'aime beaucoup y travailler - je ne vais donc pas me précipiter ailleurs!
FIDE et Lettonie, les ailes de Dana!
SS: C'est un plaisir de vous parler. J'ai beaucoup appris. Merci.
DRO: Le plaisir est pour moi!
Pour rester informé de la vie et du travail de Dana, vous pouvez la suivre sur Instagram.
Un grand merci à Shobhan Bhattacharjee pour son aide dans la transcription de cette interview.