La saga sans fin des échecs de compétition au Maroc (I)

Par Paul Kohler
31/10/2023 – Lorsqu'il s'agit de politique interne, notre noble jeu ne l'est plus tellement... . Il n'est malheureusement pas rares que des chicanes à des fins de gain personnel et de pouvoir pourrissent le rôle des fédérations, au détriment des joueurs qu'elle est censée promouvoir et protéger. Des désaccords et des anomalies ont affecté le travail de certaines fédérations à des degrés divers, mais le Maroc semble atteindre les sommets dans ces sombres histoires. Le reportage de Diana Mihajlova adapté en français.

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En 2017 déjà, ChessBase a fait état de l'état lamentable du jeu d'échecs au Maroc. Deux articles donnaient un aperçu du désarroi alarmant au sein de la gouvernance de la Fédération Royale Marocaine des Échecs (FRME), causé par un leadership incroyablement arbitraire de Moustapha Amazzal, son président depuis de nombreuses années: Morocco Chess Federation hit with corruption problems ("La Fédération marocaine des échecs confrontée à des problèmes de corruption") et Moroccan Chess: Tales from Exile ("Échecs marocains: récits d'exil"). Des joueurs d'échecs, des propriétaires de clubs, des arbitres et des organisateurs livraient des témoignages qui révèlaient ses méthodes autoritaires: des joueurs bannis pour une période allant jusqu'à 25 ans uniquement pour avoir été en désaccord avec ses opinions ou avoir refusé de jouer pour son club; de l'argent détourné des coffres de la FRME et des certificats falsifiés pour des arbitres, ce qui a valu à la FRME une sanction de trois ans imposée par la FIDE; des fonds non versés à des joueurs et à des employés – voilà parmi tant d'autres quelques-uns des faits malheureusement notoire allégués à l'encontre du sieur Moustapha Amazzal.

Deux ans auparavant (en 2015), ChessBase exposait ses actions honteuses, lequel, en tant qu'organisateur d'un prestigieux tournoi international, le Prix international Mohammed VI, dédié au roi du Maroc, avait rassemblé un certain nombre de joueurs internationaux titrés pour les laisser partir sans honorer les prix aux gagnants. Ce n'est que six mois plus tard, après un lobbying intense et des demandes adressées de toutes parts, que les prix ont été payés. Deux joueurs (la Russe Karina Ambartsumova et le Vietnamien Huynh Minh Huy Nguyen) n'ont jamais reçu leur prix. La raison invoquée était un "numéro de compte incomplet", mais rien n'a été fait pour contacter les parties concernées et résoudre le problème. Le tournoi était financé par le ministère de la Jeunesse et des Sports du pays, au sein duquel ce même Amazzal occupait un poste élevé.

Mosquée Hassan II à Casablanca. | Photo: Brochure du tournoi.

Cette année, du 14 au 20 août, se déroulait à Casablanca la quatrième édition du Tournoi International Prix Mohammed VI. Une fois de plus, l'organisateur était la FRME des échecs avec son indéboulonnable président, Moustapha Amazzal – et une fois de plus, à ce jour, deux mois après la fin du tournoi, les vainqueurs, les arbitres, le directeur du tournoi et les hôtels attendent toujours d'être payés. Cette fois-ci, M. Amazzal a bénéficié d'un généreux sponsoring de MAD 2'500'000 (environ €233'000) de la part de la société de production canadienne Checkmate Entertainment.

La chaîne hôtelière comprenant plusieurs établissements prestigieux à Casablanca, y compris l'hôtel Farah, qui a fourni la salle de jeu et l'hébergement pour les joueurs invités, a dû faire face à un événement encore plus cocasse. À la fin du tournoi, M. Amazzal, accompagné de M. Abdenbi Erraji, arbitre de la FRME et ami proche d'Amazzal, a rendu visite à la direction de l'hôtel et lui a remis des chèques correspondant aux frais d'hébergement. Tout le monde est content d'une affaire bien conclue, mais à la consternation de la direction de l'hôtel Farah, lors de leur présentation à la banque, ces chèques étaient sans provision! Mystérieusement, le signataire des chèques n'était pas la FRME mais M. Erraji.

Le lieu du scandale à Casablanca. | Photo: Hôtel Farah.

Les GMs Shakhriyar Mamedyarov, Alexei Shirov, Gadir Guseinov, Alan Pichot, Max Warmerdam, Aleksandr Fier, Eltaj Safarli, Daniil Yuffa, Pavel Ponkratov et Aditya Mittal figuraient parmi les 65 joueurs titrés qui se sont affrontés dans la section "Crown" du tournoi. (Liste complète des participants sur Chess Results) Parallèlement, un tournoi autre open était réservé aux joueurs classés U-2200.  

Lorsque les questions ont commencé à affluer vers le sponsor et son représentant, M. Salim Belcadi, qui était également le directeur du tournoi, il a été confirmé que l'argent du sponsoring était entre les mains de M. Amazzal bien avant le début du tournoi:

Checkmate Entertainment a fait un don de MAD 2'500'000, étant entendu qu'il financerait la planche des prix, l'hébergement, les frais du directeur du tournoi, les arbitres officiels ainsi que les vols, l'hébergement et les repas de certains joueurs titrés. La FRME était en possession des fonds dès le 04 juillet 2023.

Dans ce chaos, compte tenu de l'historique des irrégularités commises par M. Amazzal, la question n'est pas seulement de savoir pourquoi il n'a pas honoré les obligations financières liées au tournoi, mais aussi pourquoi il est toujours président de la FRME. Son mandat a pris fin en mars 2019 et aucune élection n'a été organisée pour désigner un nouveau président. Plus déconcertant encore, dans un retournement de situation inattendu, il semble que la FIDE ait succombé aux charmes de M. Amazzal et l'ait aidé à poursuivre son rôle de président!

Moustapha Amazzal et Arkady Dvorkovich, président de la FIDE, lors de la réunion de l'Association francophone des échecs (AIDEF) à Casablanca, juillet 2022. | Photo: AIDEF.

FIDE: "Questions concernant la FRME"

La FIDE a été interpellée à plusieurs reprises par des joueurs, des arbitres, des clubs et des organisateurs marocains au sujet des irrégularités au sein de la FRME. Finalement, la direction de la FIDE a jugé nécessaire d'aborder la question et la Commission constitutionnelle de la FIDE, lors de la réunion de juin 2021, a inscrit à son ordre du jour le sujet "Questions concernant la Fédération Royale Marocaine des Échecs (FRME), membre de la FIDE".

Il a été conclu qu'en raison de la crise au sein de la FRME, les joueurs et les arbitres sont privés de la possibilité d'améliorer leurs classements et leurs titres, et que la situation génère des dommages importants pour les joueurs. Il a été constaté que la FRME "a violé au moins l'art. 11 c) et art. 11 q) de la Charte de la FIDE", qui prévoit, parmi les obligations des fédérations membres, "de se conformer à leurs propres statuts, règles et règlements, en s'abstenant de prendre des décisions ou des actions discriminatoires" et "d'organiser régulièrement des assemblées générales et des élections, conformément à leurs statuts et à l'ordre juridique national". En effet, outre les diverses violations commises par M. Amazzal, il n'a pas non plus convoqué d'assemblée générale depuis 2016!

Sur ces bases, la FRME aurait pu être suspendue de l'adhésion à la FIDE, cependant, la suspension aurait affecté encore plus les intérêts des joueurs, arbitres, entraîneurs et organisateurs marocains. Au lieu de cela, en juillet 2021, M. Bachar Kouatly, alors vice-président de la FIDE, a été nommé délégué pour le Maroc. Son rôle était de surveiller et d'assister les activités échiquéennes jusqu'à ce que la situation se stabilise et que les conditions soient créées pour qu'un nouveau président soit démocratiquement élu.

La révolution des échecs au Maroc

Les joueurs d'échecs marocains concernés ont créé un groupe appelé "Mouvement correctif pour sauver les échecs marocains". Le 30 juin 2021, ils ont organisé un sit-in national de protestation devant le siège du ministère de la Jeunesse et des Sports.

Le Mouvement correctif pour sauver les échecs marocains avec des banderoles protestant devant le ministère de la Jeunesse et des Sports. | Photo: Anfas Press

Des membres de diverses associations d'échecs de nombreuses villes marocaines se sont rendus à Rabat afin d'être entendus par des fonctionnaires du ministère et de s'enquérir de plusieurs correspondances et plaintes antérieures auxquelles ils n'avaient pas reçu de réponse.

IA Zoheir Slami, un combattant acharné contre les violations et les abus de pouvoir de M. Amazzal, s'adresse à la presse lors de la manifestation. | Photo: Anfas Press

La manifestation visait également à faire connaître la situation illégale liée à la FRME et à son ancien président, Mustapha Amazzal. 

Une affiche révolutionnaire appelant à sauver les échecs au Maroc. | Photo: Anfas Press

Autrefois nation prospère du jeu d'échecs, les échecs au Maroc ont été, sous le règne d'Amazzal, mis à genoux, enfermés dans un statu quo persistant, sans tournois classés, sans championnats nationaux, sans aucune prise en charge des joueurs. La conséquence en est que les échecs n'existent pratiquement plus au niveau officiel. Comme l'a déclaré un joueur dans les médias sociaux:

Personne ne peut plus infliger de dommages aux échecs marocains, car les échecs sont complètement morts ici. C'est un précédent mondial que l'activité d'une fédération nationale d'échecs s'arrête une fois pour toutes parce qu'une personne ne veut pas recourir aux règles démocratiques établies.

Le statut d'ancien haut fonctionnaire du ministère de la jeunesse et des sports, a rendu difficile la tâche d'épingler M. Amazzal pour ses méfaits qui ont été tolérés en toute impunité pendant tant d'années. Il a fallu beaucoup de temps et de nombreuses preuves d'irrégularités au sein de la gouvernance de la FRME, ainsi que de ses malversations financières personnelles, pour qu'une enquête criminelle soit ouverte à son encontre.

Malgré le mécontentement et les accusations dont il fait l'objet, M. Amazzal n'a pas renoncé à son poste de président de la FRME. Malgré le fait que son mandat ait expiré en mars 2019, il convoquait des réunions de la FRME auxquelles n'assistaient que quelques-uns de ses suppôts, ce qui a maintenu la communauté nationale des échecs dans un état perpétuel de confusion et d'impuissance. L'Opinion, le quotidien marocain francophone, a rapporté:

En décembre 2021, une assemblée de la FRME s'est tenue mais a été boycottée par la majorité des clubs. Selon eux, les conditions de tenue d'une telle assemblée ne sont pas réunies et elle ne peut être organisée par M. Amazzal, "président illégitime", poursuivi en justice pour des délits commis lors de son précédent mandat et liés à l'exercice de sa fonction fédérale.

La nomination de Bachar Kouatly en tant que délégué a apporté une lueur d'espoir. De nouveaux événements échiquéens ont été organisés, enregistrés et évalués, des normes ont été attribuées et plus de deux mille nouvelles cartes d'identité FIDE ont été délivrées.

Bachar Kouatly entouré de personnalités marocaines du monde des échecs et de représentants de la FIDE lors de la Semaine d'échecs de Casablanca en 2022. | Photo: Casablanca Chess Week

Mais le mandat de Kouatly a expiré en octobre 2022 et M. Victor Bologan, directeur exécutif de la FIDE, a été nommé à sa place pour la période octobre 2022 / janvier 2023.

À suivre...


Après plus de vingt ans passés dans l'organisation du Festival international d'échecs de Bienne (Suisse), Paul Kohler en est maintenant le secrétaire général et le directeur du tournoi fermé des Grands Maîtres (GMT). Depuis septembre 2016, vous pouviez lire ses posts quotidiens et ses tweets pour ChessBase dans la langue de Molière. Dorénavant, c'est sur le portail francophone que vous pouvez lire ses articles.

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