Fischer vs Spassky – Reykjavik 1972 - Sixième partie

Par Paul Kohler
09/12/2022 – Aujourd'hui, nous offrons à nos lecteurs un aperçu de ce qui s'est passé dans les coulisses du "Match du siècle", notamment dans le camp russe. Un Boris Spassky tendu, cajolé par les seconds Efim Geller et Nikolai Krogius, n'a pourtant pas réussi à jouer à son niveau, au grand dam de ses amis et admirateurs. C'est aussi l'histoire d'un pari qui aurait pu précipiter Bobby dans le précipice lors de cette fatidique sixième partie du match. Un récit édifiant et une leçon pour les joueurs en herbe, racontée par Frederic Friedel.

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Bobby Fischer en Islande

Sixième manche: idées et réfutations

Avec la contribution du Prof. Nagesh Havanur

En 2017, Nikolai Wladimirowitsch Krogius, qui a vécu à New York pendant de nombreuses années, est décédé à l'âge de 91 ans. Lire la nécrologie du New York Times au sujet du secondant de Spassky.

Après cinq parties, le score est à égalité (2½-2½). Mais c'est Bobby qui a pris l'initiative dans la sixième partie, jouée le 23 juillet 1972, et qui a conservé l'avantage psychologique sur l'échiquier et en dehors. Ses exigences incessantes avant le championnat du monde avaient créé une énorme tension pour Boris Spassky.

Pour ajouter à ses inquiétudes, l'incertitude règne quant à la tenue du match lui-même. Comment se préparer pour un match lorsque l'adversaire ne daigne même pas se présenter à la cérémonie d'ouverture? Pour être juste, rappelons que Bobby s'est excusé auprès de Spassky. Mais il redevient vite l'enfant terrible qu'il était. Sa brutalité, son forfait lors de la deuxième partie et ses crises de colère avant la troisième, ont complètement détruit l'équilibre mental de Spassky.

Pour ajouter à ses malheurs, Boris subit d'énormes pressions de la part des autorités soviétiques qui le poussent à abandonner plutôt que de se soumettre aux exigences toujours changeantes de Fischer. C'est ainsi qu'il nous apprend: "Quelques jours avant la troisième partie, j'ai parlé pendant une demi-heure au téléphone avec Pavlov [Sergei Pavlov, ministre des Sports de l'URSS], qui a exigé que je lance un ultimatum que ni Fischer, ni les organisateurs, ni même le président de la FIDE, Max Euwe, ne pourraient accepter. Cela aurait mis fin au match. Toute notre conversation a donc consisté en un échange incessant de deux phrases: "Boris Vasileyvich, tu dois lancer l'ultimatum" et "Sergey Pavlovich, je vais jouer le match". Après cette conversation, je suis resté trois heures au lit. Je tremblais. J'ai sauvé Fischer, en jouant la troisième partie. En substance, j'ai signé la capitulation de tout le match."

Des décennies plus tard, il résume son dilemme: "Il n'y avait qu'une seule façon de gagner ce match: avant la troisième partie, lorsque Bobby a commencé à se plaindre, j'aurais pu refuser de jouer et déclarer forfait. J'ai pensé à le faire, mais j'étais le roi des échecs et je ne pouvais pas revenir sur ma parole. J'avais promis de jouer cette partie. En conséquence, j'ai ruiné mon humeur combative..."

La quatrième partie, un match nul tendu, n'a pas réussi à lui redonner le moral. Efim Geller était l'ami et le fidèle second de Spassky. Il avait préparé une ligne pour briser l'attaque Sozin que Fischer a joué toute sa vie. Lorsque la position apparaît sur l'échiquier, Boris prend 45 minutes, s'écarte de la ligne sur laquelle ils avaient travaillé et permet à Bobby de s'en sortir avec un match nul.

Pour Geller, c'est particulièrement pénible. Sa rivalité avec Bobby remontait aux années 1960, et Bobby l'avait battu pour la dernière fois à l'Interzonal 1970. Puis vient la cinquième partie qui lui brise le dos. Spassky aurait pu se délecter d'un duel tactique pointu, mais au lieu de cela, il a été surclassé dans une longue bataille de manœuvres, et mis hors d'état de nuire à la fin par une gaffe.

Guerres d'ombres

À l'entame de la sixième partie, le champion du monde est encore groggy et sous le choc de tous les coups qu'il a reçus. Mais qu'en est-il de Bobby? Il pouvait difficilement jouer 1.e4 sans se heurter à un autre champ de mines sicilien préparé par Geller & co. Il a donc lancé un plan B, en ouvrant avec 1.c4. Cela n'aurait pas dû être une surprise pour Spassky et Geller. Bobby avait joué l'ouverture anglaise contre Polugaevsky à l'Interzonal de 1970, son adversaire n'obtenant la nulle qu'après un certain malaise dans sa position. Bobby répèta la même ouverture lors de la dernière ronde contre Oscar Panno, qui proteste contre le changement d'horaire du tournoi et perd sa partie.

Tout cela aurait dû mettre les Russes en garde. Ce ne fut pas le cas. Dans les matches des Ccandidats qui ont suivi avec Taimanov, Larsen et Petrosian, Fischer n'a ouvert qu'avec 1.e4. Ainsi, la possibilité que Bobby déplace autre chose que le pion Roi n'a pas été considérée aussi sérieusement qu'elle aurait dû l'être. Seul Geller était inquiet car il voulait que Spassky soit préparé à toute éventualité. Boris, quant à lui, reste complaisant. Chaque fois que ses seconds lui demandaient: "Que se passe-t-il si Bobby joue 1.d4?", il donne la même réponse paresseuse: "Je vais juste jouer le système Makogonov-Bondarevsky. Qu'est-ce qu'il peut en tirer?" Geller, pour sa part, savait à quel point il avait tort et le lui a montré avec la partie suivante:

[Event "Moscow"] [Site "?"] [Date "1970.??.??"] [Round "?"] [White "Furman, Semyon Abramovich"] [Black "Geller, Efim P"] [Result "1-0"] [ECO "D59"] [Annotator "ChessBase"] [PlyCount "63"] [EventDate "1970.??.??"] 1. d4 d5 2. c4 e6 3. Nc3 Be7 4. Nf3 Nf6 5. Bg5 h6 6. Bh4 O-O 7. e3 b6 8. cxd5 Nxd5 9. Bxe7 Qxe7 10. Nxd5 exd5 11. Rc1 Be6 12. Qa4 c5 13. Qa3 Rc8 14. Bb5 $5 $146 {Des années plus tard, Geller commit ce perspicace commentaire: "L'idée est de provoquer l'avance du pion ♟, ce qui affaiblit à la fois ce  et tout l'aile-♛".} (14. Be2 {est toujours en vogue et a résisté à l'épreuve du temps.}) 14... a6 $2 15. dxc5 bxc5 ({Après} 15... Rxc5 $6 16. O-O {Les Noirs se retrouvent avec un  d isolé et le ♘ obtient des avant-postes sur deux cases idéales, d4 et e5.}) 16. O-O Ra7 {Un coup maladroit. Mais les Noirs cherchent à faciliter à la fois ...♞d7 et ...c5-c4.} ({Après la partie, Geller pensa que} 16... Qb7 {était une amélioration. Cependant, Jan Timman et Ulf Andersson ont proposé} 17. Ba4 $1 Qb6 18. Ne5 {suivi par 19.♖fd1 avec une pression sur les ♟♟ pendants.}) 17. Be2 a5 {Pour activer le  arriéré, mais cela retarde le développement du ♞.} ({L'immédiat} 17... Nd7 {fut jouer plus tard.}) 18. Rc3 Nd7 19. Rfc1 Re8 $2 {Préoccupés par la préparation de l'avance, d5-d4, les Noirs oublient qu'ils se dirigent vers un clouage fatale.} (19... Bg4 {est préférable, bien que les Blancs aient encore un léger avantage après} 20. h3) 20. Bb5 $1 $16 Bg4 21. Nd2 $2 {Les Blancs cherchent un moyen plus calme d'exercer une pression sur les ♟ pendants, permettant aux Noirs de réaliser l'avance au centre.} ({Les Blancs auraient pu gagner un  avec} 21. Rxc5 $1 {, mais ont probablement préféré éviter les complications après} Nxc5 22. Bxe8 Bxf3 23. Qxc5 Qg5 {Cependant, cela est paré en douceur avec} 24. g3 Ra8 25. Bb5 $16) 21... d4 $1 22. exd4 cxd4 23. Qxe7 Rxe7 24. Rc8+ Kh7 25. Nb3 Ne5 26. Rd8 Rac7 $2 {préparant l'échange d'une paire de ♖♜ pour faciliter l'avancée du pion . Mais ce plan s'avère lent et permet aux Blancs de frapper en retour au centre.} ({Les Noirs auraient dû agir rapidement avec} 26... d3 $1 27. Bxd3+ (27. Rcc8 a4 28. Nd4 Reb7) 27... Nxd3 28. Rxd3 Be6 $11) 27. Rxc7 Rxc7 28. f4 Bd7 ({Si} 28... Nc6 $2 29. Rd6 Ne7 30. Nxd4) 29. fxe5 $2 {Désireux de neutraliser la menace de ..d4-d3, les Blancs éliminent d'abord le ♞. Rétrospectivement, cela n'était pas justifié.} (29. Bxd7 $1 Nxd7 30. Nxa5 $16 {était suffisant.}) 29... Bxb5 30. Nxd4 ({et pas} 30. Rxd4 $2 a4 $1 {qui renverse la situation} 31. Nd2 Rc1+ 32. Kf2 Rc2 33. Ke3 Rxb2 $17) 30... Rc1+ $2 {une erreur} (30... Rc5 $1 {le gain du e assure l'égalité.}) 31. Kf2 Rd1 32. Rd6 {Les Blancs ont un ♙ de plus et ont le dessus. Geller décide de ne pas prolonger l'agonie et abandonne.} 1-0

Une curieuse partie entachée d'erreurs mutuelles à la fin. Pourtant, Geller fut profondément perturbé par l'effondrement de sa défense favorite contre le Gambit-♕. Connaisseur de la théorie des ouvertures, il annota sa défaite dans le Chess Informant en proposant une amélioration pour les Noirs qui s'avéra finalement insuffisante.

Geller et Furman, avec le jeune Anatoly Karpov, pour qui Furman était un mentor.

De l'autre côté de l'océan, à des milliers de kilomètres, un Grand Maître américain considérait la même partie sur son échiquier de poche... et ses yeux se sont illuminés. C'était Bobby. Il avait trouvé un moyen de battre Boris! Mais comment savait-il que Boris allait jouer cette ligne? La réponse se trouve dans le Livre Rouge, la Bible de Spassky qu'il dévore jour et nuit.

 

Dans les années 1950, le Dr. Edward Wildhagen a annoncé un projet ambitieux intitulé "Weltgeschichte des Schachs" qui signifie "Histoire mondiale des échecs". Son plan était d'inclure toutes les parties jamais jouées par les Grands Maîtres avec un diagramme tous les cinq coups, de sorte que l'on puisse jouer les parties sans installer l'échiquier et les pièces. Il y a eu 16 volumes publiés dans cette série, chacun étant consacré à un grand joueur. Dans ce livre, Bobby a trouvé douze parties jouées par Spassky, dont aucune n'a été perdue, mais aucune gagnée non plus: cela faisait partie de son arsenal de défense. La partie Furman-Geller a donné à Bobby une idée sur la manière de faire sortir Boris de sa coquille protectrice.

Ce qui s'est passé dans la sixième partie du match est décrit avec éloquence par le GM Robert Byrne dans le livre qu'il a co-écrit avec Ivo Nei, l'un des secondants de Spassky pendant le match (Both sides of the Chessboard, Quadrangle/The New York Times Book Co. 1974).

Le plus grand coup porté à l'assurance de Spassky fut la sixième partie. Pour la première fois de sa vie, Bobby joua le Gambit-♕, ayant toujours maintenu qu'il était "ennuyeux et nul". Et il bat Spassky, qui n'avait jamais perdu une partie avec sa variante Tartakower favorite ! Les faits bruts ne sont pas éblouissants; ils n'ont pas besoin d'être embellis. Il suffit de revoir la partie.

Fischer et Spassky à Reykjavik [photo Skáksamband Íslands - Fédération islandaise des échecs].

[Event "Reykjavik World Championship Game 6"] [Site "Reykjavik"] [Date "1972.07.23"] [Round "6"] [White "Fischer, Robert James"] [Black "Spassky, Boris Vasilievich"] [Result "1-0"] [ECO "D59"] [WhiteElo "2785"] [BlackElo "2660"] [Annotator "Byrne,Robert"] [PlyCount "81"] [EventDate "1972.07.11"] [EventType "match"] [EventRounds "21"] [EventCountry "ISL"] [SourceTitle "MainBase"] [Source "ChessBase"] [SourceDate "1999.07.01"] 1. c4 {À ma connaissance, Fischer n'a joué ceci qu'une seule fois auparavant, contre Polugaevsky à Palma 1970. Le grand avantage d'aller vers les ouvertures de l'aile-♕ est que, sans aucune histoire sur laquelle s'appuyer, il était impossible pour Spassky de savoir quoi préparer.} e6 2. Nf3 d5 3. d4 Nf6 4. Nc3 Be7 {Avec les Noires dans la première partie, Fischer a joué 4 . . . Bc5 transposant dans la Nimzo-Indienne, mais Boris, comme dans son match avec Petrosian il y a trois ans, préfère rester dans les limites normales du Gambit-♕ Décliné.} 5. Bg5 O-O 6. e3 h6 {Boris est responsable de la renaissance de cette vieille variante Tartakower et n'avait jamais perdu une partie avec elle avant cette rencontre.} 7. Bh4 b6 8. cxd5 Nxd5 9. Bxe7 Qxe7 10. Nxd5 exd5 11. Rc1 Be6 12. Qa4 c5 {Les Noirs obtiennent un espace de manœuvre et un jeu libéré par cette avance, qui, cependant, crée quelques problèmes pour se protéger contre d'éventuelles faiblesses de ♟♟. Dans le passé, c'est Capablanca qui a forcé cette défense à s'éclipser. Bobby en fera-t-il de même dans cette partie?} 13. Qa3 Rc8 14. Bb5 $1 a6 15. dxc5 bxc5 16. O-O Ra7 (16... Qb7 {a été suggéré comme une amélioration, libérant le c5 et empêchant le 18e coup de Fischer. Après la nécessaire retraite du ♗, les Noirs continueraient très probablement avec Rc6 suivi d'un doublement des ♜♜.}) 17. Be2 Nd7 18. Nd4 {Ce simple coup positionnel est assez fort, parce qu'après l'échange d'un ensemble de pièces mineures, l'effet de crampe des pions d et c noirs disparaît virtuellement alors que leur vulnérabilité demeure.} Qf8 {Ce simple coup positionnel est assez fort, parce qu'après l'échange d'un ensemble de pièces mineures, la forteresse que procurait les ♟d et c disparaît virtuellement, alors que leur vulnérabilité demeure.} ({Dr. Euwe recommenda} 18... Nf8 {Mais les Blancs conservent un petit avantage.}) 19. Nxe6 fxe6 20. e4 $1 {Voilà l'intérêt de l'échange précédent, qui semblait seulement renforcer les . Or ils sont maintenant plus faibles que jamais!} d4 ({Le Dr. Euwe considère que le moindre des maux des Noirs aurait été de répondre par} 20... dxe4 {Toutefois,} 21. Bc4 Qe7 22. Rfe1 Nf6 23. f3 Kh8 24. fxe4 e5 25. Rcd1 {donne aux Blancs un avantage clair, puisque les éparpillés sont tous des cibles, et les protéger empêche les Noirs de disputer la colonne de la ♕.}) 21. f4 {Alors que les sont immobiles sur l'aile-♛, ceux des Blancs seront le fer de lance d'une attaque décisive de l'autre côté de l'échiquier!} Qe7 (21... e5 22. fxe5 Qe7 23. e6 {est un désastre pour les Noirs.}) 22. e5 Rb8 23. Bc4 Kh8 ({Après} 23... Nb6 $2 24. Qb3 {les Blancs gagnent immédiatement un .}) 24. Qh3 Nf8 ({ Après} 24... Rxb2 25. Bxe6 {il n'y a aucun moyen de renforcer la ♜solitaire sur la septième rangée, alors que l'avance du fer de lance des ♙♙ va rapidement détruire la position du ♚ ennemi. Maintenant que les Blancs passent à l'attaque de l'aile-♚, les Noirs sont de toute façon perdus.}) 25. b3 a5 26. f5 exf5 27. Rxf5 {La colonne f sera la voie principale de l'attaque. La menace est Rf7, gagnant la ♛ pour ♖♗.} Nh7 28. Rcf1 ({À éviter:} 28. Rf7 Ng5 {gagnant la qualité, mais maintenant Rf7 est à nouveau une menace réelle.}) 28... Qd8 29. Qg3 Re7 30. h4 Rbb7 31. e6 {La pression monte. Tout ce que Spassky peut faire est de s'accroupir avec terreur sur la deuxième rangée. Il ne peut pas utiliser le dernier coup des Blancs pour faire entrer Nf6 parce que Bobby attend juste de sacrifier la qualité en f6, dénudant ainsi fatalement le ♚.} Rbc7 ({Si} 31... Qc7 {les Blancs mat en 4 en commençant par} 32. Rf8+) 32. Qe5 Qe8 33. a4 Qd8 34. R1f2 Qe8 35. R2f3 Qd8 36. Bd3 {Les trois derniers coups de Fischer n'ont fait que passer le temps, pour quelle raison je ne sais pas, sauf peut-être pour démontrer sadiquement que les Noirs sont presque en zugzwang. Le coup actuel, cependant, menace Qe4, contre lequel il n'y a aucune défense.} Qe8 37. Qe4 Nf6 ({Une façon plus rapide de se saborder eut été} 37... Rxe6 $2 38. Rf8+ Nxf8 39. Rxf8+ Qxf8 40. Qh7#) 38. Rxf6 $1 {Ceci scelle la victoire, ne laissant que quelques détails macabres.} gxf6 39. Rxf6 Kg8 40. Bc4 Kh8 41. Qf4 {Abandon.} ({On} 41. Qf4 Rc8 ({Et si} 41... Kg8 42. Qxh6 {ne laisse aux Noirs aucun recours contre} -- 43. Rg6+ ) 42. Rxh6+ Kg8 43. Qg4+ Rg7 44. e7+ Qf7 45. Qxc8#) 1-0

La sixième partie était un classique que Miguel Najdorf, ci-dessus au milieu, pendant le match à Reykjavik, a comparé à une symphonie de Mozart! Elle a été annotée par un certain nombre de contemporains comme Samuel Reshevsky, Reuben Fine, Svetozar Gligoric, C.H.O'D Alexander et autres.

A peu près au même moment, le jeune Jan Timman [ci-dessus sur une photo de 1968 de Chess Diagonals] fit une enquête indépendante sur l'ensemble de la partie, et son exemple fut imité par Yasser Seirawan et Graham Burgess qui apportèrent également une correction utile aux analyses précédentes. Le dernier mot est revenu à Garry Kasparov. ChessBase propose une mise à jour:

[Event "Reykjavik World Championship Game 6"] [Site "?"] [Date "1972.07.23"] [Round "?"] [White "Fischer, Robert James"] [Black "Spassky, Boris V"] [Result "1-0"] [ECO "D59"] [WhiteElo "2785"] [BlackElo "2660"] [Annotator "Nagesh Havanur"] [PlyCount "81"] [EventDate "1972.??.??"] 1. c4 {Une surprise! Fischer avait joué 1.e4 toute sa vie. Enfin, presque. Il a joué ce coup contre Polugaevsky en 1970 lors de l'Interzonal et ce fut une nulle.} e6 2. Nf3 d5 {Spassky espère une transposition dans le Gambit-♕ Décliné, une ouverture avec laquelle il a beaucoup d'expérience.} 3. d4 {Fischer s'exécute volontiers car il a une nouveauté en tête.} Nf6 4. Nc3 Be7 5. Bg5 O-O 6. e3 h6 {La Tartakower porte également les noms des maîtres soviétiques Makogonov et Bondarevsky qui y ont contribué. Sous l'influence de Bondarevsky, son mentor, Boris l'utilisa également, ne perdant jamais une seule partie.} 7. Bh4 b6 8. cxd5 Nxd5 9. Bxe7 Qxe7 10. Nxd5 exd5 11. Rc1 Be6 12. Qa4 c5 13. Qa3 Rc8 {[#]} 14. Bb5 $5 {Nouveauté de Furman avec laquelle il a battu Geller à Moscou en 1970. L'idée est de décourager ...Nb8-d7 qui soutiendrait c5.} (14. Be2 {est standard.}) 14... a6 $2 ({Si} 14... Nd7 15. Bxd7 Bxd7 16. dxc5 bxc5 17. O-O {suivi par Rfd1 avec pression sur les de l'aile-♛.}) ({Après sa défaite contre Furman, Geller a trouvé} 14... Qb7 $1 15. dxc5 bxc5 16. Rxc5 Rxc5 17. Qxc5 Na6 $1 {une idée qu'il a employée avec succès contre Timman à Hilversum en 1973.}) 15. dxc5 bxc5 ( 15... Rxc5 16. O-O {laisse les Noirs avec le d isolé et concède au ♘ les cases clés d4 et e5.}) 16. O-O Ra7 $2 {Maintenant la ♜ et la ♛ se défendent mutuellement, et les Noirs menacent également 17...axb5, sans mentionner ...c5-c4. Pourtant, c'est inadéquat.} ({L'idée de Geller} 16... Qb7 {est également irréalisable en raison de} 17. Ba4 {Les Noirs sont sous-développés et l'avance du c ne fait qu'ouvrir des lignes pour les Blancs.} c4 18. Nd4 Qb6 19. Rfd1 Nd7 20. Nxe6 Qxe6 21. e4 $16) ({Cependant, la suggestion de Donner} 16... Nc6 {est jouable, bien que les Blancs aient un bon jeu contre les ♟♟ pendants.} 17. Bxc6 Rxc6 18. Ne5 Rc7 19. Rfd1 $14) ({ Il en va de même avec la proposition de Larsen; après} 16... Qa7 {les Blancs ont une pression similaire sur les ♟♟.} 17. Be2 ({À éviter:} 17. Ba4 $2 a5 $1) 17... Nd7 18. Rfd1 $14) 17. Be2 { Jusqu'ici, la partie suit celle jouée entre Furman et Geller à Moscou en 1970.} Nd7 ({Geller tenta} 17... a5 {et fut dominé après} 18. Rc3 Nd7 19. Rfc1 Re8 20. Bb5) 18. Nd4 $1 Qf8 $2 {Soucieux de se sortir du clouage, Boris est contraint à une défense passive.} ({Après} 18... Nf6 $1 19. Nb3 {Kasparaov proposa} Rac7 $1 $13 { (menaçant...d5-d4) avec un milieu de jeu complexe.} ({La proposition de Seirawan} 19... c4 20. Qxe7 Rxe7 21. Nd4 a5 $11 {est également suffisante pour tenir la position.})) 19. Nxe6 fxe6 20. e4 $1 {vise le centre des ♟♟ à son point le plus vulnérable.[#]} d4 $2 {Ce coup, ouvrant la diagonale a2-g8 pour le ♗, joue en faveur des Blancs.} ({Tal exposa l'idée correcte:} 20... c4 {Mais après} 21. Qh3 {lui et d'autres commentateurs n'ont pas pu trouver un plan raisonnable pour les Noirs. Des décennies plus tard, à l'ère de l'informatique, Kasparov trouva} Rc6 $1 ({Et pas} 21... Nc5 $6 22. b4 cxb3 23. axb3 { qui liquide le ♟c4 et maintient la pression sur les Noirs (Graham Burgess).}) 22. b3 Nb6 {Cependant, les Blancs bénéficient toujours de l'initiative en raison des ♟♟ vulnérables.} 23. Rfd1 $14) 21. f4 Qe7 22. e5 Rb8 $6 ({Sur} 22... Nb6 {Kasparov donne} 23. Qd3 $1 (23. f5 {donne du contre jeu aux Noirs après} c4) 23... Nd5 24. Qe4 Qf7 25. f5 Ne3 26. fxe6 Qxe6 27. Bd3 Rf7 28. Qh7+ Kf8 29. Rxf7+ Qxf7 30. Bc4 $1 Nxc4 31. Rf1 $18) 23. Bc4 Kh8 ({Après} 23... Nb6 $2 {Les Blancs gagent un ♟ avec} 24. Qb3 $1 {Jan Timman}) 24. Qh3 Nf8 ({Les Noirs ont essayé le plus actif} 24... Rxb2 25. Bxe6 Rab7 {Mais après} 26. Rce1 $16 {Les Blancs devraient l'emporter selon Kasparov.}) 25. b3 a5 26. f5 exf5 27. Rxf5 Nh7 (27... Ng6 $2 {perd après} 28. Qg3 $1 ({L'imprudent} 28. Rf7 $2 {est réfuté par} Qg5 $1) 28... Qe8 29. Rcf1 {suivi de e5-e6.}) (27... Ne6 $2 {n'est pas plus mauvais.} 28. Bxe6 Qxe6 29. Rf8+ $18) 28. Rcf1 ({Les Blancs doivent également rester vigilants.} 28. Rf7 $2 Ng5 29. Rxe7 Nxh3+ 30. gxh3 Rxe7 $19) 28... Qd8 ({Si} 28... Rf8 $2 29. Rxf8+ Nxf8 30. Qc8 $18) 29. Qg3 Re7 30. h4 $1 {Après ce coup, ni la ♛ ni le ♞ ne peuvent utiliser g5 comme tremplin.} (30. Rf7 $2 Rxf7 31. Rxf7 Qg5 {aurait donné du répit aux Noirs.}) 30... Rbb7 31. e6 Rbc7 32. Qe5 Qe8 33. a4 Qd8 34. R1f2 Qe8 ({Ou} 34... d3 $2 35. Rd2 $18) 35. R2f3 Qd8 36. Bd3 Qe8 (36... Qg8 {ne mène qu'à une fin par étouffement.} 37. Rf7 Rxf7 38. exf7 Rxf7 39. Bc4 $18) 37. Qe4 $1 Nf6 (37... Rxe6 $4 {est encore pire.} 38. Rf8+ $1 Nxf8 39. Rxf8+ Qxf8 40. Qh7#) 38. Rxf6 $1 $18 gxf6 39. Rxf6 Kg8 40. Bc4 Kh8 41. Qf4 1-0

Temps de réflexion par coup

Voici les temps de réflexion au coup par coup de la sixième partie, tels qu'ils ont été enregistrés par Lawrence Stevens, qui assistait au match à Reykjavik et les a notés à partir des écrans vidéo:

Game 6, July 23rd, 1972

Fischer Spassky
White Black
1. c4 (0:08) e6 (0:02)
2. ♘f3 (0:11) d5 (0:03)
3. d4 (0:11) ♞f6 (0:03)
4. ♘c3 (0:11) ♝e7 (0:03)
5. ♗g5 (0:11) 0-0 (0:04)
6. e3 (0:12) h6 (0:04)
7. ♗h4 (0:13) b6 (0:08)
8. cxd5 (0:13) ♞xd5 (0:08)
9. ♗xe7 (0:14) ♛xe7 (0:08)
10. ♘xd5 (0:14) exd5 (0:08)
11. ♖c1 (0:14) ♝e6 (0:09)

12. ♕a4 (0:14) c5 (0:12)
13. ♕a3 (0:14) ♜8 (0:16)
14. ♗b5 (0:15) a6 (0:19)
15. dxc5 (0:19) bxc5 (0:23)
16. 0-0 (0:20) ♜a7 (0:36)
17. ♗e2 (0:23) ♞d7 (0:52)
18. ♘d4 (0:28) ♛f8 (1:11)
19. ♘xe6 (0:39) fxe6 (1:11)
20. e4 (0:42) d4 (1:13)
21. f4 (0:47) ♛e7 (1:19)
22. e5 (0:51) ♖b8 (1:23)
23. ♗c4 (1:02) ♚h8 (1:33)
24. ♕h3 (1:03) ♞f8 (1:36)
25. b3 (1:08) a5 (1:36)
26. f5 (1:12) exf5 (1:38)
27. ♖xf5 (1:12) ♞h7 (1:42)
 

28. ♖cf1 (1:15) ♛d8 (1:48)
29. ♕g3 (1:20) ♜e7 (1:54)
30. h4 (1:28) ♜bb7 (1:57)
31. e6 (1:38) ♜bc7 (1:59)
32. ♕e5 (1:47) ♛e8 (2:05)
33. a4 (1:48) ♛d8 (2:12)
34. ♖1f2 (1:53) ♛e8 (2:12)
35. ♖2f3 (1:53) ♛d8 (2:12)
36. ♗d3 (1:57) ♛e8 (2:16)
37. ♕e4 (1:58) ♞f6 (2:18)
38. ♖xf6 (1:58) gxf6 (2:18)
39. ♖xf6 (1:58) ♚g8 (2:25)
40. ♗c4 (1:59) ♚h8 (2:28)
41. ♕f4 (2:04) 1-0

"Les mines finissent toujours par exploser" – Efim Geller

Cette partie a eu des conséquences inattendues. Lorsque Boris revint dépité après la partie, Geller lui demanda pourquoi il n'avait pas joué 14...♛b7 qui aurait pu réfuter tout le concept basé sur 14.♗b5! Après tout, il avait analysé l'ensemble de la variation avec Boris pendant leur préparation pour le match. Le champion du monde n'avait pas voulu s'en souvenir et, de toute façon, c'était la dernière ligne qu'il était prêt à voir en ce jour fatidique. Un an plus tard, Jan Timman tente la même chose contre Geller, et la mine qui avait été posée pour Fischer explose. Voici la partie :

[Event "Hilversum"] [Site "?"] [Date "1973.??.??"] [Round "?"] [White "Timman, Jan H"] [Black "Geller, Efim P"] [Result "0-1"] [ECO "D59"] [WhiteElo "2480"] [BlackElo "2590"] [Annotator "Nagesh Havanur"] [PlyCount "72"] [EventDate "1973.??.??"] 1. d4 d5 2. c4 e6 3. Nc3 Be7 4. Nf3 Nf6 5. Bg5 O-O 6. e3 h6 7. Bh4 b6 8. cxd5 Nxd5 9. Bxe7 Qxe7 10. Nxd5 exd5 11. Rc1 Be6 12. Qa4 c5 13. Qa3 Rc8 14. Bb5 $5 { Nouveauté de Furman qu'il a introduit contre Geller à Moscou en 1970. Le coup est devenu célèbre après que Fischer ait battu Spassky avec ce coup dans la sixième partie du championnat du monde de 1972.  [#]} ({Le standard} 14. Be2 {est toujours en vogue et a résisté à l'épreuve du temps.}) 14... Qb7 $1 $146 {Un coup brillant qui remet en question la nouveauté de Furman. La menace immédiate est d'encercler le ♗ avec ...c5-c4. Donc les Blancs n'ont pas le temps de roquer.} ({Après} 14... a6 $2 15. dxc5 bxc5 16. O-O Ra7 17. Be2 {Les Noirs doivent se battre pour l'égalité comme le montrent les parties Furman-Geller, 1970 et Fischer-Spassky, 1972.}) 15. dxc5 bxc5 16. Rxc5 Rxc5 17. Qxc5 {[#]} Na6 $1 {La réfutation du plan des Blancs. Geller l'a montré à Spassky pendant leur préparation pour le match du championnat du monde.} 18. Bxa6 ({Si} 18. Qc6 $2 Qxc6 19. Bxc6 Rb8 $1 20. b3 ({ou} 20. O-O Rxb2 $17) 20... Rc8 {gagne la qualité.}) 18... Qxa6 {avec une nouvelle menace à l'horizon: 19... Rc8} 19. Qa3 Qc4 20. Kd2 $2 (20. Qc3 {eut été un moindre mal. Après} Rb8 $1 ({et non } 20... Qxa2 $2 21. O-O {et les Blancs s'en sortent.}) 21. Qxc4 dxc4 22. b3 cxb3 23. axb3 Rxb3 24. O-O Rb2 $15 {Les Noirs ont un léger avantage du fait du ♟ passé.}) 20... Qg4 21. Rg1 d4 $1 {ouvre les lignes contre le ♔ } 22. Nxd4 ({Si} 22. exd4 Rb8 {les Noirs menacent entre autres 23...Bd5.}) 22... Qh4 23. Re1 Qxf2+ 24. Re2 Qf1 25. Nxe6 fxe6 26. Qd6 {Les Blancs doivent empêcher ... Rd8+.} Kh8 27. e4 Rc8 28. Ke3 Rf8 29. Rd2 (29. Kd2 {est réfuté de même par } e5 $1) 29... e5 $1 $19 30. Qxe5 Qe1+ 31. Re2 Qg1+ 32. Kd3 Rd8+ 33. Kc3 Qd1 34. Qb5 Qd4+ 35. Kc2 a6 36. Qxa6 Qc5+ {joué avec une énergie toute juvénile par Geller!} 0-1

Il est dommage que Spassky n'ait pas profité de la découverte de Geller. Quant à Bobby, il s'est sagement abstenu de répéter la nouveauté de Furman pendant le reste du match.

La théorie des ouvertures a beaucoup progressé depuis 1972, mais si vous voulez apprendre à jouer le Gambit-♕, vous pouvez le faire auprès de l'une des meilleures autorités possibles: Garry Kasparov!


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Après plus de vingt ans passés dans l'organisation du Festival international d'échecs de Bienne (Suisse), Paul Kohler en est maintenant le secrétaire général et le directeur du tournoi fermé des Grands Maîtres (GMT). Depuis septembre 2016, vous pouviez lire ses posts quotidiens et ses tweets pour ChessBase dans la langue de Molière. Dorénavant, c'est sur le portail francophone que vous pouvez lire ses articles.

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